Après la mise en place de la réforme générale des politiques publiques (RGPP), Sarkozy persévère dans la logique capitaliste en s’attaquant cette fois-ci à l’échelon du pouvoir local par la réforme des collectivités territoriales. Cette nouvelle salve ultralibérale donne l’occasion d’esquisser le portrait d’une véritable démocratie directe et fédérale.
Les sénateurs ont discuté en janvier le projet de loi de réforme déposé en octobre 2009 par Brice Hortefeux. Quels arguments le ministère de l’Intérieur et des collectivités territoriales avance-t-il pour justifier son projet alors que l’on sait que les collectivités assurent 75 % de l’investissement public national, soit quatre fois plus que les investissements de l’État ? L’empilement des structures avec 36 783 communes, 100 départements, 26 régions, 15 900 syndicats intercommunaux et 371 pays est critiqué : « Le millefeuille administratif est devenu illisible » [1]. D’où la création d’un conseiller territorial qui siègera à la fois au département et à la région.
Concrètement, 3 000 conseillers territoriaux remplaceront les 6 000 conseillers généraux et régionaux actuels. La première élection des conseillers territoriaux devrait avoir lieu en 2014 et on devine aisément en quoi elle va favoriser la concentration des pouvoirs au niveau régional et départemental entre les mains des politiciens appartenant aux grandes familles politiques dominantes.
Ensuite, est visée l’augmentation des dépenses locales : « Entre 2003 et 2007, en dehors de tout transfert de compétences, les dépenses locales ont augmenté de 40 milliards d’euros soit six fois le budget de la justice. Quant aux effectifs de la fonction publique territoriale, ils n’ont cessé de croître ». Plus de dépenses ne seraient-elles pas synonymes de plus de richesses produites et réparties pour le bien-être de la population ? Plus de fonctionnaires ne signifierait-il pas plus d’emplois occupés pour plus de missions de service public à destination des usagers ? Ce n’est visiblement pas cette lecture-là qui prime…
Main basse de l’État sur les collectivités
Avec la suppression de la clause de compétence générale des départements et des régions, Sarkozy organise la mise au pas des collectivités ainsi empêchées de mettre en place des politiques locales d’intérêt général. Avec la création de structures supracommunales nouvelles et d’une carte imposée de l’intercommunalité, les communes existantes sont vouées à disparaître. En plus d’un « Grand Paris » placé sous la tutelle de l’État, une dizaine de métropoles, indépendantes des communes et des départements et justifiées par des raisons de compétition capitaliste européenne, creuseront l’inégalité entre les territoires ainsi mis en concurrence. Avec la suppression de la taxe professionnelle (40 % des ressources fiscales d’une collectivité comme Le Blanc-Mesnil dans le 93 proviennent de la TP) prévue dans la réforme qui remet ainsi en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, les collectivités seront étranglées financièrement et devront transférer au privé des missions qu’elles ne pourront plus financer. Un cadeau accordé au patronat, puisque plus de 90 % des entreprises ne seraient plus assujetties à la contribution économique territoriale. Ainsi, avec l’aggravation de la fiscalité locale reposant sur les ménages, les recettes fiscales proviendraient pour 75 % des ménages et pour seulement 25 % des entreprises. Tous les efforts gouvernementaux tendent ainsi à transférer les activités rentables vers le secteur privé.
Des résultats attendus catastrophiques
Premièrement, la réforme ne pourra qu’entraîner une dégradation de la situation des fonctionnaires avec des réductions d’emplois et le recours accru à la contractualisation. Deuxièmement, la réduction des services déconcentrés de l’État – huit directions au niveau régional et trois au niveau départemental, voire deux pour les départements les moins peuplés – favorisera le développement du clientélisme et ouvrira le champ au secteur privé pour occuper les espaces abandonnés par la responsabilité publique. Troisièmement, la mainmise du pouvoir présidentiel se verra renforcée par les nouvelles compétences conférées aux préfets de région chargés de mener à son terme le schéma national de l’intercommunalité en 2014, de définir le périmètre des métropoles et de présider aux regroupements concernant les départements et les régions.
Le double mouvement de décentralisation et de déconcentration des pouvoirs impulsé sous Mitterrand entre 1982 et 1984 avait certes favorisé une transformation de l’appareil jacobin qui déterminait jusqu’ici le fonctionnement de la république, mais sans pour autant faire reculer le pouvoir sous sa forme étatique. Quelle est la réponse du modèle autogestionnaire et fédéraliste promu par le courant communiste libertaire ?
Un chantier révolutionnaire : l’autogestion territoriale
« Le pouvoir des travailleurs s’exercera à partir des deux lieux essentiels de leur existence : le lieu de travail et le lieu d’habitat » [2]. L’autogestion se pratiquera tout à la fois dans le champ des rapports de production et dans le domaine territorial. À l’échelle locale, la commune libre sera gérée dans le cadre d’assemblées d’habitants par immeuble ou rue avec son conseil, ensuite d’assemblées par quartier également avec son conseil et d’un congrès communal dans lequel siégeraient des délégué-e-s des quartiers et entreprises. C’est la commune libre qui déciderait démocratiquement, par exemple, des plans de rénovation et de réhabilitation urbaines. À l’échelon supérieur, une fédération de régions autonomes avec un congrès central permanent nommerait et surveillerait son conseil central propre. La révocabilité et l’impérativité des mandats, ainsi que le non-cumul des mandats favoriseront la non-concentration des pouvoirs et la participation du plus grand nombre dans les affaires de la cité. Au niveau international, une fédération des régions autonomes pourrait être envisagée afin de rompre avec le cadre national traditionnel et dont les attributions seraient limitées avec en priorité, les questions de défense et de rapports avec l’extérieur, comme de péréquation et de solidarité entre les différentes régions composant la fédération autogestionnaire. Le chantier de l’utopie autogestionnaire fédérale et territoriale est immense et vaut bien davantage que l’étatisation socialement destructrice voulue par Sarkozy et les lamentations de l’opposition parlementaire en faveur du statu quo.
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