"L'intentionnel dans le cinéma des frères Coen" in Joel & Ethan Coen : Principes d'incertitude (numéro 49, décembre 2011)
Approche transversale
On a traduit en français par Sang pour sang le titre original du premier long métrage de Joel et Ethan Coen, Blood Simple (1984), dont le sens est en réalité un peu plus complexe. Cette première fiction cinématographique imprégnée de la lecture des romans noirs de James Cain tire en fait son titre de l’univers romanesque d’un autre écrivain « noir », Dashiell Hammett, l’auteur de La Clé de verre (1931) auquel Miller’s Crossing (1990) rendra quant à lui hommage. La révérence au roman noir adressée par leur troisième long métrage inclut aussi La Moisson rouge (1929) où il est écrit que le héros happé par la dynamique pulsionnelle du meurtre déchoit dans l’abêtissement du sang versé : il finit « hébété par le sang », ce qui en anglais se dit « blood simple ». Il est vrai que les frères Coen manifestent au travers de leurs films une fascination pour la bêtise de leurs personnages qu’ils déclinent effectivement dans leurs films sanglants comme Fargo (1996) et No Country For Old Men (2007), mais aussi dans leurs comédies délirantes tels The Big Lebowski (1998) et Burn After Reading (2008). C’est qu’elle offre l’expression privilégiée d’un état vécu à l’occasion de la violente abolition des causes dans un déchaînement de conséquences imprévisibles. En cela, les histoires contées par les Coen sont, pour paraphraser la sentence shakespearienne, « des fables racontées par des idiots, pleines de bruit et de fureur, et qui ne signifient rien » (Macbeth, V, 5). Les causes résument ici la volonté de personnages, au départ sûrs de leurs intérêts et persuadés du bon usage de la raison instrumentale, mais qui devront subir l’épreuve difficile de forces immaîtrisables finissant très souvent par anéantir leurs entreprises. Le paradoxe veut que ces mêmes puissances se déchaînent dans un ouragan d’effets inintentionnels qui, s’ils excèdent toute maîtrise ou tout calcul rationnel des protagonistes, trouvent in fine leurs causes précises dans le fantasme d’un monde censément accordé à leurs intentions. Le réel en tant qu’il serait ici l’impensable déferlement de conséquences inintentionnelles débordant et emportant les calculs de la raison intentionnelle : voilà l’épreuve ultime à laquelle les frères Coen soumettent rituellement leurs personnages. Là réside leur moralisme (la débandade des projections humaines) qui, soutenu par la rigueur d’une philosophie des situations concrètes et de leur complexité relationnelle, s’inscrirait dans une histoire cinématographique ouverte avec Fritz Lang et prolongée avec Stanley Kubrick…
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