La surexposition au pire expose à être plus fort

– à propos de l’ouvrage collectif "Covid-19, un virus très politique"

La catastrophe est là, depuis longtemps. Sociale et environnementale, elle atteint désormais avec l’anthropocène sa dimension écosystémique et entropique. La catastrophe, nous y sommes confrontés depuis pas mal de temps, nous y sommes entrés désormais comme jamais. Le désastre nomme aujourd’hui la condition d’une époque médusée, sidérée par son impuissance à corriger ses propres excès de puissance. Mais le sait, la sidération doit laisser place à la considération, elle doit céder la place à un sursaut de conscience collective parce qu’il y a, disséminé partout, un désir partagé de vivre une vie décente et digne, qui soit sauve et protégée de la volonté massive à livrer le monde à un final apocalyptique.

 

 

 

Le monde entier connaît actuellement sa plus grave crise sanitaire depuis la pandémie grippale abusivement appelée « grippe espagnole » qui remonte à 1918. Elle a pour raison l’apparition d’une maladie infectieuse émergente de type zoonose virale causée par la souche de coronavirus SRAS-CoV-2 découverte en décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine. Moins de trois mois plus tard, précisément le 11 mars, la pandémie mondiale de la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) est avérée par l’OMS. Zoonose, le terme est important, qui signifie que l’agent pathogène au principe de la maladie infectieuse se transmet entre animaux vertébrés et l’être humain en est un. Aujourd’hui, 75 % des maladies humaines émergentes sont d’origine zoonotique.

 

 

 

Comme un train en cache un autre, une crise en entraîne une autre et la crise économique qui est l’une des conséquences de la crise sanitaire est plus grave encore que celle de 2008. Le spectre du krach de 1929 rôde. Aujourd’hui, la Chine a enregistré plus de 4000 décès et l'Iran quasiment 5.000. La France va bientôt dépasser le seuil des 18.000 décès, l’Espagne et l’Italie tournent autour des 20.000 environ. Les États-Unis devenus l’épicentre de la pandémie approchent des 35.000, concentré dans l’État de New York. Au total, on dénombre aujourd’hui plus de 145.000 décès liés au Covid-19 et plus de deux millions de cas confirmés.

 

 

 

C’est au moment où l’épidémie est déclarée pandémie que des États pour la grande majorité d’entre eux imprévoyants ont décrété un confinement nécessaire (en France le 17 mars), imposé par des législations d’exception dont les conditions sont problématiques, inégalement vécues par les populations. Non seulement ces conditions témoignent que les solutions ne sont pas à la hauteur d’un mal dont le capital est moins le remède que la cause pharmacologique, mais elles renforcent également les inégalités existantes en exposant les individus les moins protégés et les plus précaires à une plus grande fragilité sociale qui touche de fait l’ensemble de la société.

 

 

 

 

 

Un confinement nécessaire mais inégalitaire

 

 

 

 

 

Tandis que les salariés qui peuvent bénéficier du télé-travail sont invités à rester chez eux, et d’autres placés d’office en autorisation spéciale d’absence quand leurs activités ne sont pas considérées comme essentielles à la société à l’instar des agents des équipements culturels et sportifs des collectivités territoriales, beaucoup sont encore au travail. Évidemment dans les hôpitaux mais aussi dans les commerces, la maintenance des infrastructures et la continuité des activités régaliennes. Caissières et livreurs, éboueurs et personnel soignant, dans les centres municipaux de santé, dans les EHPAD et les hôpitaux publics se retrouvent contraints de bricoler des gants et des masques quand ils font défaut. Le droit de retrait est une protection juridique toujours plus contesté et la chasse est aujourd’hui organisée contre les salariés soupçonnés d’en abuser. Tous les salariés encore en poste aujourd’hui se voient ainsi surexposés à un risque épidémiologique longtemps sous-estimé alors que les scientifiques alertent depuis au moins vingt ans les pouvoirs publics sur la recrudescence de maladies virales, émergentes et zoonotiques liées directement à l’urbanisation intensive et extensive qui bouleverse les écosystèmes et favorise la transmission des agents pathogènes des animaux à l’espèce humaine.

 

 

 

Les populations les plus précarisées souffrent particulièrement d’une situation critique, propice tant à l’intensification des inégalités qu’à la surexposition du risque épidémique : mal-logés et familles parfois nombreuses vivant dans des logements vétustes ; personnes incarcérées et étrangers bloqués dans les centres de rétention ; sans-papiers à la rue et sans-abris qui font l’épreuve de la fermeture des sanisettes et des fontaines publiques ; femmes plus exposées encore avec le confinement à la violence de leur conjoint ; personnes âgées qui souffrent du confinement ; enfants des classes populaires qui n’ont plus les moyens de continuer à s’instruire. D’autres situations témoignent encore des tendances obscures de la période : la délation sature le standard téléphonique des commissariats ; les verbalisations sanctionnant les personnes ne respectant pas le cadre réglementaire du confinement sont parfois arbitraires ; les médias sociaux s’engorgent des bulles écumantes d’un narcissisme aussi exponentiel que les théories complotistes ; mêmes confinés les éditorialistes éditorialisent en stigmatisant la jeunesse d’ascendance migratoire des quartiers populaires, par exemple en Seine-Saint-Denis, soupçonnée de profiter indûment de la situation alors que ce département, le plus populaire de France, affronte une surmortalité deux fois plus élevée qu'à Paris.

 

 

 

Mais on relève tout aussi bien les expressions du sursaut populaire qui, diversement, taillent dans le confinement actuel des brèches rafraîchissantes. Ainsi du rituel citoyen célébrant tous les soirs à 20 heures, aux fenêtres et sur les balcons, les efforts du personnel soignant. Et ce dernier s’en réjouit, mais n’en rappelle pas moins aussi que les encouragements symboliques ne doivent pas se substituer à une véritable refonte de la politique sociale et fiscale, favorable à une redistribution des richesses égalitaire, notamment au service de l’État social et du secteur public. Car, si la catastrophe résulte en effet des bouleversements globaux de la métabolisation de la nature par le travail humain, ses causes comme ses conséquences n’en sont pas moins politiques.

 

 

 

 

 

Les clivages actuels du capitalisme

 

(économie politique, épidémiologie, immunologie)

 

 

 

 

 

Le moment est ainsi particulièrement symptomatique des clivages d’un capitalisme dont la crise n’est pas la résultante d’une énième contingence accidentelle, mais relève bel et bien de sa forme la plus essentielle, la plus pure – l’enrichissement des uns est une catastrophe pour tout le monde. D’un côté, les États s’endettent pour pallier les effets économiques de la récession programmée et les plus riches déclarent même vouloir suspendre le remboursement de la dette des pays pauvres, voire de la supprimer. Ils sont encouragés à le faire dans le cadre de l’Union Européenne par la Commission Européenne qui a décidé de suspendre la clause dogmatique de l’austérité imposant aux États membres la diminution restrictive de la dépense publique au nom du contrôle sévère de la dette (tout en laissant courir aussi ses intérêts qui font les profits des détenteurs des titres spéculant sur la dette des États). Pour sa part, la Banque Centrale Européenne, qui a pour dogme de ne jamais prêter aux États, vient comme en 2008 de leur débloquer rien moins que 750 milliards.

 

 

 

D’un autre côté, certains dirigeants fanfaronnaient comme Boris Johnson, qui pariait alors sur la stratégie dite de l’immunité de groupe dont les conséquences sont cependant rien moins que risquées (60 % d’individus infectés sur une population totale conduirait aujourd’hui à entraîner des centaines de milliers de décès). Jusqu’à ce que le chef du parti conservateur et premier ministre britannique depuis juillet 2019 se retrouve en soins d’urgence, contaminé par le virus. D’autres gouvernements adoptent quant à eux rapidement des mesures d’urgence sanitaire exceptionnelles qui, avec l’exemple plénipotentiaire de Viktor Orban en Hongrie, renforcent la tendance déjà largement autoritaire des oligarchies libérales.

 

 

 

En France, Emmanuel Macron a déjà promis la reprise de la production le 11 mai. C’est bien pourquoi les écoles seront à nouveau ouvertes à ce moment-là, autrement dit pour libérer les salariés de la contrainte de la garde d’enfants et les jeter ainsi dans l’autre contrainte du travail subordonné. Alors même – les spécialistes nous le disent en chœur – que l’épidémie ne sera toujours pas endiguée à ce moment-là. Le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux a pour sa part évoqué une remise en question globale des salaires, des horaires de travail et des congés payés avant de reculer devant le consensus exceptionnel des organisations syndicales, CFDT incluse. Et de promettre de rouvrir plus « sereinement » la discussion en septembre, une fois la tempête passée si elle vient à passer. L’usine Toyota de Valenciennes ose même annoncer une reprise de ses activités dès le 21 avril. La multinationale Amazon, menacée de sanctions parce qu’elle ne respecte aucune des consignes de sécurité au travail, prend même la décision de fermer ses entrepôts en faisant du chantage à l’emploi alors que son action n’a jamais été aussi haute. Le ministre de l’économie Bruno Le Maire leur emboîte à tous le pas en nous invitant à réfléchir à « une meilleure organisation des chaînes de valeur ». On appréciera derrière le jargon de la novlange néolibérale le credo fanatique du dogme de la croissance et du profit à tout prix, y compris gagé sur la vie des salariés.

 

 

 

Avec les lois d’exception de l’état d’urgence sanitaire, imposées par décret et sans délai le 23 mars dernier, le gouvernement peut désormais légiférer par ordonnances sans en s’en remettre aux chambres des représentants, sénateurs et parlementaires. Il s’est notamment appliqué à accentuer le détricotage du code du travail afin d’offrir des marges de manœuvre et de compensation à des entreprises touchées au portefeuille. Aux États-Unis, on a licencié 10 millions d’employés et l’OIT (l’Organisation Internationale du Travail) a calculé que plus d’un milliard de personnes sont menacées de licenciement. Soit le plus grand « plan social » de l’histoire du capitalisme...

 

 

 

Le stade suprême du capitalisme est un néolibéralisme qui s’attaque de manière toujours plus nue à la vie elle-même. Il s’agit d’un bio-pouvoir, équivalent à un thanato-pouvoir. C’est pourquoi l’économie politique est affaire désormais d’épidémiologie et d’immunologie dès lors que le monde subsumé sous les féroces lois du capital est toujours plus soumis à sa violence auto-immunitaire.

 

 

 

 

 

Le capitalisme a failli,

 

vive le communisme

 

 

 

 

 

Pendant un confinement vécu inégalement, la lutte des classes ne cesse pas. Au contraire, elle continue avec une intensité renouvelée. Beaucoup travaillent alors à penser les conditions du désastre actuel et à accompagner les formes populaires de résistance qu’il a engagées. C’est le cas d’une petite maison d’édition modeste et combattante créée en 1989, Syllepse, qui répond à la quarantaine éditoriale en mettant en ligne dès le 30 mars un recueil gratuit et téléchargeable, Covid-19, un virus très politique. Régulièrement actualisé, ce livre indispensable, riche de solides réflexions étayées comme de témoignages de première main issus du monde entier, propose également une éphéméride sociale. Avec elle, il s’agit de rendre compte tant de l’impéritie des gouvernements qui sacrifient la santé de leurs citoyens au nom de la gouvernance de de l’économie du capital, que des divers contre-feux, populaires, salariaux et syndicaux qui s’organisent dans le monde entier pour éviter que le monde d’après soit la reconduction stricte du monde d’avant.

 

 

 

C’est à la lecture de cet ouvrage résolument contemporain que nous devons le glanage de quelques pensées critiques en guise de lignes de fuite pour réinventer le présent, l’ici et le maintenant. Parce qu’il n’y a qu’un monde et un seul, même si des forces puissantes s’emploient à le rendre invivable et immonde.

 

 

 

Le monde d’après, on y est depuis longtemps, on y est davantage maintenant, toujours vivants comme des survivants. Avant et après s’équivalent en effet dans une modernité abêtie en post-modernité. C’est pourquoi il faut revenir mais à la seule condition de devenir autre. La césure plutôt que le retour à la normale qui serait folie et reconduction fatale de la maladie auto-immune. Le messianisme sans messie des peuples qui doivent se sauver de leurs sauveurs plutôt que l’apocalypse des partisans du laissez-faire. L’éternel retour, oui, mais de l’événement qui fait la différence. Un autre monde est possible, il a dans les faits toujours été déjà là, dans les interstices d’un désastre mondialement capital, à nous alors d’en creuser positivement les failles.

 

 

 

Le monde taillé sur mesure par la démesure du capitalisme a une fois de plus failli, ce doit être la dernière fois. Vive la sociale, vive l’autogestion, vive le communisme.

 

 

 

 

 

La réponse autogestionnaire

 

à la hauteur de la crise sanitaire

 

 

 

 

 

 

 

Patrick Silberstein a été pendant 35 ans médecin généraliste dans le quartier de Belleville. Il est devenu depuis éditeur aux éditions Syllepse et a participé à la coordination de Autogestion : une encyclopédie internationale en sept tomes parus depuis 2018. Son intervention s’intitule « Le jour d’après a déjà débuté » et on y lit constamment cette profération : « Bas les masques ! » (p. 7-14). On y retrouvera déjà des citations idoines de L’Étrange défaite de Marc Bloch (« Quoi que l’on pense des causes profondes du désastre, la cause directe – qui demandera elle-même à être expliquée – fût l’incapacité du commandement ») et Le Guépard de Lampedusa (« Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change »). Surtout, le constat solidement documenté alerte des paradoxes d’une politique économique qui, soudain, envisage des nationalisations pour compenser la casse, tout en passant des ordonnances antisociales sur la durée et les conditions de travail.

 

 

 

La logique est bien connue : la nationalisation des pertes prépare à la prochaine vague de privatisation des bénéfices, ad nauseam. Mais il y a d’autres discours, d’autres logiques. Ainsi, avant le grand mouvement social de refus de la contre-réforme du système de retraite qui a fait sute à celui des Gilets jaunes, de multiples collectifs sont régulièrement apparus dans le monde hospitalier, collectif inter-urgence, collectif des infirmiers de bloc, collectif inter-hôpitaux, etc. Ces collectifs, souvent en liaison avec des collectifs d’usagers, se disent prêts à élaborer un budget de l’hôpital à partir de l’évaluation des besoins à la base, ceci afin d’organiser la distribution des ressources et la gestion des soins. Voilà une réponse salariale et populaire à la politique drastique de déstructuration du secteur hospitalier menée depuis plus de trente ans au nom de l’efficacité économique et la diminution de la dépense publique. Cette politique qui se compte en dizaine de milliers de lits supprimés, on en voit actuellement les conséquences sanitaires et sociales.

 

 

 

La vision néolibérale d’une politique de santé publique viable est désastreuse. C’est une anti-politique qui s’est de surcroît articulée à une absence de volonté de financement de la recherche dont le constat fait l’unanimité, partagé par les virologues et les épidémiologistes, les médecins-chercheurs et les responsables de services hospitaliers. Créé en 2007, l’EPRUS (l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) qui est cofinancé par l’impôt et la sécurité sociale assure la gestion des stocks nationaux des produits de santé. Il se trouve que son budget a été divisé par dix en dix ans, en raison d’une austérité comptable et budgétaire dont les bénéficiaires sont évidemment le secteur privé et assurantiel. Du côté des entreprises pharmaceutiques, sur les 18 les plus importantes du secteur, 15 ont purement et simplement décidé d’abandonner la recherche parce que ce n’est pas rentable, la priorité n’étant pas de travailler par exemple à créer un vaccin universel contre la grippe...

 

 

 

Surtout, la France est connue pour indexer sa politique industrielle sur des objectifs militaires auxquels s’ajoute la sécurité intérieure dont le budget a crû à un rythme supérieur à toutes les dépenses sociales comme l’éducation (on relève ainsi une augmentation de 86 % des exportations d’armes entre 2011 et 2019). La rhétorique belliciste d’Emmanuel Macron va logiquement dans ce sens, ainsi que le déploiement de l’armée à l’intérieur des frontières nationales. Du côté gouvernemental, la réponse adoptée face à la crise est de toute façon et systématiquement l’urgence quand la recherche fondamentale a besoin de temps et d’indépendance pour travailler, et le secteur hospitalier de moyens et de personnels pour soigner et parer aux catastrophes.

 

 

 

L’urgence n’est au fond que la pauvre et misérable réponse d’une politique adaptée à sa propre négligence, sa propre incurie, son propre appauvrissement organisé au nom des primats de l’offre, de la croissance et du profit. La fréquence d’autres catastrophes avère la misère de la politique de l’urgence comme Tchernobyl et Fukushima, le sang contaminé et le diesel, la vache folle et l’amiante, AZF et Seveso, le Mediator et Lubrizol, etc. Dans le même élan catastrophique, le droit d’alerte des représentants syndical a été réduit dans les trois versants de la fonction publique par la fusion des comités techniques (CT) et des comités hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT).

 

 

 

Le temps est venu désormais – le temps est revenu de poser la nécessité consistant à rélargir le champ de la socialisation des dépenses de santé. Avec un plan d’investissement hospitalier et de santé publique rétablissant les emplois et les moyens supprimés, mais aussi avec l’expropriation des trusts pharmaceutiques qui ralentissent la production d’un vaccin, la fin des brevets, ainsi que la mise en place d’une offre publique du médicament.

 

 

 

Les salariés des grands groupes comme ceux de Sanofi travaillent de leur côté à élaborer des plans de reconversion industrielle au nom d’une production socialement utile. La multinationale étasunienne Honeywell a fait fermer à la fin 2018 son site de Plaintel dans les Côtes d’Armor pour le délocaliser en Tunisie, le seul en France qui jusqu’alors fabriquait 200 millions de masques par an et des vêtements de protection sanitaire. Pire, elle a fait détruire toutes ses machines. L’Union syndicale Solidaires appelle alors à recréer le site pour immédiatement le réquisitionner, le nationaliser en EPIC, voire en SCOP dans l’optique préférentiellement autogestionnaire. Les anciens salariés de Luxfer dans le Puy-de-Dôme fermés en mai 2019 demandent la réouverture d’une entreprise spécialisée dans la production de bouteilles d’oxygène médical. La CGT demande avec sa réouverture sa nationalisation.

 

 

 

En Espagne qui est avec l’Italie l’un des pays les plus durement frappés par le Covid-19, la CGT de Catalogne face à la pauvreté de la réponse publique a passé commande de masque FFP2 (contre les infections) à un fournisseur homologué par le gouvernement chinois. L’usine PSA a réorienté sa production avec la fabrication et la livraison de 130.000 masques destinés aux personnels hospitaliers le 20 mars dernier. Des masques affluent par solidarité humanitaire internationale, de Chine, de Cuba et Russie à une Italie souffrant d’avoir été déshabillée pendant plus de trois décennies d’anticommunisme sectaire et de politiques austéritaires (et, pendant ce temps, Berlusconi quitte le navire pour bronzer en France). Mais la réponse humanitaire à la crise sanitaire ne permet pas de la dépasser en se prémunissant des autres qui risquent de venir si tout change pour que rien ne change.

 

 

 

La crise exige une réponse à sa hauteur, qui soit une réponse de civilisation par la socialisation égalitaire des richesses, le contrôle démocratique de la production repensée de façon socialement utile et écologiquement soutenable, et – mieux que la nationalisation propice aux privatisations à venir – l’autogestion.

 

 

 

 

 

Une épidémie si prévisible,

 

une alerte si minimisée

 

 

 

 

 

Gérard Chaouat est médecin, immunologiste et chercheur au CNRS. Dans son intervention (p. 15-22), il rappelle que le Covid-19 est un virus émergent appartenant à la famille des ribovirus et l’analyse de son génome suggère une recombinaison entre un virus présent chez la chauve-souris et un autre chez le pangolin. Les complotistes peuvent dès lors aller se rhabiller comme on en trouve en abondance dans les rangs de l’extrême-droite, chez les néofascistes de la fachosphère qui surenchérissent d’antisémitisme, ainsi que chez les partisans démagogiques d’un racisme anti-chinois à la Trump. De la même façon que l’on sait que la grippe espagnole avec ses 50 millions de morts est en fait apparue dans la région chinoise de Canton, partie du canard pour arriver à l’espèce humaine via le porc et qu’un autre virus, la grippe A/H1N1 dite « grippe porcine » a trouvé son origine en 2009 au Mexique, probablement du côté de l’élevage industriel de Gloria à Veracruz. Un coup de semonce qui date d’il y a dix ans mais, malgré 18.000 cas confirmés et entre 150.000 et 575.000 estimés, cela n’aura pas suffi aux pouvoirs publics pour changer de braquet.

 

 

 

La globalisation des échanges économiques est un facteur déterminant expliquant l’actuelle multiplication des épidémies et pandémies, avec les transports aériens et les routes transforestières, mais aussi les élevages industriels et une urbanisation sauvage, destructrice en écosystème. Dans le même mouvement, les travaux concernant des pan-vaccins ont été largement abandonnés faute de financement, au bénéfice d’autres recherches dont les débouchés commerciaux ont été considérés plus important. Les crédits alloués à la recherche vaccinale ont ainsi baissé d’année en année.

 

 

 

Que faire alors ? La Chine a adopté une politique drastique, ciblée et localisée, avec traitement préventif et confinement strict afin de juguler l’épidémie. En Corée du sud et à Taïwan qui ont comme la Chine intégré la norme virale et épidémiologique, le dépistage et les tests sont rapidement et massivement organisés, y compris en recherchant de façon systématique et policière l’entourage des infectés. Ils le sont également en Allemagne de manière plus respectueuse des libertés individuelles. Pendant ce temps-là, en France, les citoyens regardent sur le web des tutos pour apprendre à se confectionner eux-mêmes leurs masques...

 

 

 

Les tests de dépistage, l’usage généralisé des masques, le confinement strict des foyers (ou clusters) auraient dû entre autres aidé à orienter le gouvernement en étant appliqués d’entrée de jeu, en début de pandémie déclarée. Mais l’alerte a longtemps été minimisée. Y compris par le chercheur et infectiologue Didier Raoult dont la médiatisation concernant sa proposition de traitement vaccinal à base de chloroquine ne doit pas faire oublier qu’il trouvait encore en février que l’OMS en faisait trop sur le sujet et que l’émotivité reste aux commandes d’une société livrée à l’hyper-réactivité des réseaux sociaux dont il est devenu depuis une icône. L’alerte a finalement été décrétée, mais bien tardivement et l’on sait déjà qu’il y a eu des infectés lors du premier tour des élections municipales le 15 mars. Au sujet de cette élection, on aimerait seulement rappelle qu’y a participé Agnès Buzyn en préférant abandonner au pire moment son poste de ministre de la santé pour tenter de rafler après la défection d’Antoine Griveaux la mairie de Paris...

 

 

 

Quand on sait que l’épidémie sera derrière nous quand aucune nouvelle hospitalisation ne sera signalée deux semaine après le dernier cas, on ne peut pas ne pas reconnaître qu’il paraît évident que la France n’aura pas le Covid-19 derrière elle à la date pour le moment arrêtée du 11 mai prochain, levée partielle et programmée du confinement. Sans compter de récentes mauvaises nouvelles venues de Corée avec la réapparition du virus chez d’anciens infectés et de terribles séquences chez ceux qui ont survécu avec une diminution des capacités respiratoires. Sans omettre, enfin, de penser à l'hypothèse du choc sanitaire qui risque d'être subi par les pays les plus pauvres et les moins protégés, comme en Afrique et dans certains pays d'Asie et d'Amérique latine...

 

 

 

La surexposition au pire expose pour certains à renchérir dans la logique du pire. Aux autres alors de ne pas céder sur l’exigence d’être plus fort, intègre, meilleur.

 

 

 

 

 

Un avertissement, de plus

 

en faire le dernier

 

 

 

 

 

Agronome et militant écosocialiste belge, Daniel Tanuro a écrit L’Impossible capitalisme vert (éd. La Découverte, 2012). Il est ici l’auteur d’un texte intitulé « Huit thèses sur le coronavirus » (p. 123-123). Nous aimerions pour conclure en proposer le résumé. Malgré un abus du vocabulaire « disruptif », le juste constat de l’urgence absolue de la situation y côtoie en effet celui, non moins juste, d’un appel au dépassement nécessaire du capitalisme :

 

 

 

1) « Phénomène disruptif à dynamique exponentielle, l’épidémie est un amplificateur spécifique de la crise sociale et économique. Elle est aussi un révélateur de la fragilité du système capitaliste et des dangers qu’il fait peser sur les classes populaires (…) » ;

 

 

 

2) « Juguler l’épidémie aurait nécessité de prendre rapidement des mesures strictes (…). Englués dans les politiques néolibérales avec lesquelles ils tentaient de contrôler le ralentissement économique, les gouvernements capitalistes ont tardé à les prendre, puis les ont prises insuffisamment, ce qui les a contraints à en prendre ensuite de plus sévères (…). Le zéro stock, l’austérité budgétaire dans les domaines de la santé et de la recherche et la flexi-précarité du travail doivent être mis en accusation avec la crise. » ;

 

 

 

3) « Des scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme lors de l’épidémie du coronavirus SRAS en 2002. Des programmes de recherche fondamentale ont été en Europe, aux États-Unis (…). Les gouvernements ont refusé de les financer. » ;

 

 

 

4) « Comme tout phénomène disruptif, l’épidémie suscite d’abord des réactions de déni.(…) Il y a en plus un risque sérieux que le Covid-19 soit utilisé par les fascistes comme prétexte pour justifier et intensifier les politiques racistes de refoulement des migrant-es. » ;

 

 

 

5) « La gauche ne peut absolument pas se contenter de rabattre le facteur exogène de la crise sanitaire sur la crise économique capitaliste endogène. Elle doit prendre en compte la crise sanitaire en tant que telle et développer des propositions pour la combattre de façon sociale, démocratique, antiraciste, féministe et internationaliste. » ;

 

 

 

6) « Le danger majeur de l’épidémie est le possible dépassement du seuil de saturation des systèmes hospitaliers. (…) L’épidémie requiert donc clairement une rupture avec les politiques d’austérité, une redistribution des richesses, un re-financement et une dé-libéralisation du secteur de la santé, la suppression des brevets dans le domaine médical, la justice Nord-Sud et la priorité aux besoins sociaux. » ;

 

 

 

7) « Il y a de très nombreux points communs entre la crise du Covid-19 et la crise climatique. Dans les deux cas, sa logique d’accumulation par le profit rend le système capitaliste incapable d’empêcher un danger dont il est averti. Dans les deux cas, les gouvernements oscillent entre le déni et l’inadéquation de politiques conçues prioritairement en fonction des besoins du capital, pas des besoins des populations. (…) Dans les deux cas, enfin, la loi sociale de la valeur capitaliste entre en contradiction frontale avec des lois de la nature à dynamique exponentielle (la multiplication des infections virales dans un cas, le réchauffement et ses rétroactions positives d’autre part. » ;

 

 

 

8) « Le danger climatique est cependant infiniment plus global et plus grave que celui du virus. (…) Le Covid-19 est un avertissement, un de plus : il faut en finir avec le capitalisme, qui entraîne l’humanité vers la barbarie. »

 

 

 

 

 

17 avril 2020

N. B. : une version de ce texte est disponible sur le site du journal alternatif Alter Échos.


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