Fumer fait tousser (2022) de Quentin Dupieux

Camera oscura adolescentia, la suite (ad nauseam)

On joue à la poupée, le cinéma français s'y complaît sans hésiter. Après Coma de Bertrand Bonello, Quentin Dupieux s'y colle avec Fumer fait tousser, tout petit traité d'enfumage mollement vapoté.

 

Aux poupées mannequins Barbie succèdent désormais les figurines d'une enfance télévisuelle, Thunderbirds, Bioman et Power Rangers, otage d'une adolescence baveuse et sarcastique à souhait. Le confinement, on n'en sortirait donc jamais, propice à vérifier qu'à notre époque qui est sans époque, la télévision représente pour le cinéma une forme d'invagination caractérisée.

MIEUX RIRE – MÛRIR

 

 

 

Le nouveau bidule du petit prince du flat cinema a des ricanements anodins qui n'oublient pas le gosier d'où ils ont été longtemps refoulés. Alain Chabat en marionnettiste en chef d'un groupe de super-héros, les Tabac Force, en est le saint prophète. Aujourd'hui, un film c'est un sketch des Inconnus ou des Nuls allongé sur la durée d'un long-métrage. On a ri des sketchs comme on a fichu le bordel au collège et au lycée. Et puis il s'est passé quelque chose : l'adolescence c'était fini. Sinon c'est l'enflure apocalyptique d'Akira, sinon c'est le désert où s'épuisent les Gerry, on ne nous a pas prévenus en vain. L'enfant n'est retrouvé, et sauvé qu'en lâchant les petites addictions de la puérilité.

 

 

 

Cela s'appelle l'enfance qui dit le deuil de l'enfant que nous ne sommes plus, on n'est pas adultes autrement. Cela s'appelle encore l'aurore qui, là où il y a une catastrophe, vaut pour une échappée.

 

 

 

L'adolescence est le premier âge de l'adulescence dont la sénescence est le dernier, qui a déjà commencé. Rira le mieux celui qui rira le dernier, Nietzsche le disait dans Le Crépuscule des idoles. Mieux rire, autrement dit mûrir. Quentin Dupieux veut à l'évidence rire le dernier, mais en faisant du ricanement le rire raté des temps derniers, celui d'un changement d'époque qui ne viendra jamais (comme l'indique le bonus post-générique-fin). Comme on est loin de Pinocchio, autre marionnette de notre enfance dont les aventures initiaient à la vie d'un bout de bois désirant advenir au vivant. Et si proche d'Annette, infante inconsistante ayant pour artisan Gepetto l'industrie des effets spéciaux.

 

 

 

POST... POST... KOF... KOF...

 

 

 

Dans la chambre de l'adulescent auto-confiné, ce petit royaume de terres vaines où tourne en boucle un DJ mâchouillant ses potacheries, l'amorphe règne en ayant deux versants, inorganique (gadgets robotiques et monstres en plastique) et organique (du sang qui gicle et des boyaux). Et des fétiches, animaux morts et empaillés, syndrome Norman Bates. On nous dira : c'est de l'art (d'être) idiot. On contredira en répondant que le déchet haussé au méta n'en reste pas moins du déchet mais au carré.

 

 

 

Si Wrong reste le seul bon film de son auteur, c'est que le retour d'un chien perdu y était vécu comme une fête, le salut d'un homme qui pourra enfin sortir du désert où se perd son triste voisin.

 

 

 

On pourra apprécier que quelques bonnes pâtes du gratin de l'actorat français décollent un peu du fond de la casserole. Certains acteurs en arrivent même à tirer leur épingle du jeu, Gilles Lellouche et Oulaya Amamra. D'autres (Grégoire Ludig et David Marsais) ont l'avance de savoir que YouTube a préfiguré le post-cinéma, qui n'est la télévision des années 80 qui revient en allongeant la sauce barbecue de ses infernales prolongations.

 

 

 

Fumer fait tousser ou le cinéma français tantôt vapoté (post... post...), tantôt toussoté (kof... kof...)

 

 

 

POP NIHILISME – MOURIR (MAIS PAS DE RIRE)

 

 

 

Au milieu des volutes d'un enfumage assumé et richement produit, passent quand même quelques effets de sens. D'abord des histoires qu'on enfile à prenant bien soin qu'elles ne mènent nulle part (la meilleure histoire jamais racontée par Quentin Dupieux est celle qui consiste à nous raconter des histoires en faisant croire qu'il nous en aura raconté). Ensuite l'insistance du casque, super-héros casqués, heaume à penser pour Dora Tillier qui ne pense à rien sinon buter ses amis, dont l'effet de visière est une réduction de la capacité du cinéma à faire lever les yeux (Grégoire Ludig le raconte d'ailleurs très bien : vu de loin, un écran de cinéma n'est pas différent d'un écran domestique). Enfin un garçon passé dans une broyeuse et réduit à une bouche, qui a pourtant beau jeu de ne pas en vouloir à la responsable de son sort, finit avalé malgré tout par un toutou qui passait dans le coin.

 

 

 

L'écran est une visière, le cinéma une broyeuse. Un casque à ressentiment pour auto-confinement.

 

 

 

Pop nihilisme : rires et histoires partagés ne sont plus garants d'une expérience vraie, ils invitent seulement à faire passer le temps à l'ère du confinement et de l'air raréfié. Il ne s'agit plus de mieux rire pour mûrir, mais d'attendre la mort en ricanant à l'époque sans époque des tout derniers temps.

 

 

 

4 décembre 2022


Commentaires: 0