texte tiré de : http://www.alternativelibertaire.org/?Cinema-Jaques-Demy-l-integrale
On peut enfin jouir de l’intégrale des films de Jacques Demy, éditée par Ciné-Tamaris et Arte Vidéo en 12 DVD et 1 CD. Cela permettra de (re)découvrir un des cinéastes français les plus originaux, souvent réduit au seul genre rose bonbon de la comédie musicale alors que son œuvre est empreinte d’une noire mélancolie, d’une perversité sexuelle, et d’une force politique peu communes.
Le rose n’est ici que la face surexposée d’un noir qui en serait l’arrière-fond refoulé, et la comédie musicale le cristal extirpé d’une boue humaine à laquelle il reste irrémédiablement lié. S’il faut découvrir les courts métrages peu connus (et notamment Le Sabotier du Val de Loire, de 1955, admiré par Maurice Pialat), on doit également voir les classiques et ses longs métrages moins connus. Ici le sublime n’est que la pointe la plus aiguë de l’horreur. Car que racontent Lola (1960), sa suite américaine Model Shop (1969), La Baie des Anges (1962) et le court La Luxure, issu du film collectif Les sept Péchés capitaux (1961), si ce n’est le fétichisme de la marchandise qui participe du sacrifice des individus sur l’autel de la valeur d’échange ?
Jacques Demy est particulièrement attentif au sort des femmes victimes d’un ordre patriarcal au nom duquel la prostitution semble inévitable. Quand ce n’est pas l’inceste qui rôde, dans Les Demoiselles de Rochefort (1967), Peau d’âne (1970) et Trois Places pour le 26, ultime film de 1988. L’horreur n’est pas seulement marchande, elle est aussi militaire : c’est la guerre d’Algérie qui cogne à la porte du célèbre Les Parapluies de Cherbourg (1964) ; elle est également sociale dans Une chambre en ville (1982) qui voit les couleurs pop et vives de la comédie musicale tourner au vinaigre criard et amer des grandes grèves nantaises de 1955.
C’est enfin une dynamique de révolution des identités de genre à laquelle s’est livré un cinéma qui a imaginé l’histoire d’un homme enceint dans L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune (1973), et d’une femme dotée en 1789 d’une identité masculine dans Lady Oscar (1978).
Jacques Demy, dont l’autoportrait en artiste pervers a été donné avec Le Joueur de flûte en 1971, n’aura tourné sur lui-même que pour raccorder les images contradictoires du conte pour enfant et du fait divers, de l’amour et de la pulsion de mort, de la comédie musicale hollywoodienne et du cinéma d’auteur français. Du rose et du noir.
2 mars 2009
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