Projeté en avant-première mondiale au FID-Marseille, Nouveau Monde ! (Le monde à nouveau) d'Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz est d'ores et déjà l'un des plus beaux films de cette année. Tourné à quatre mains et sans argent sur l'île d'Ouessant entre l'hiver et le printemps, c'est un poème des métamorphoses à l'heure de tous les dangers, offert à la connaissance des amis sur lesquels on peut compter. Dédié à François Tanguy, le film l'est autant à Jean Epstein qu'à Béla Tarr, à Günther Anders qu'à René Char, à Mahmoud Darwich qu'à Léonard de Vinci, à Jean-Marie Straub qu'à Jean-Luc Godard, une grande fête des retrouvailles et de l'amitié. L'île bretonne, cette finis terrae où brille l'Or des mers, s'y montre comme l'ombilic du monde, nouvel Omphalos. L'endroit où rayonne le cinéma depuis l'élan des premières projections du Big Bang a pour envers notre monde atomisé, implosant à force d'irradiations, du cimetière marin qu'est la Méditerranée à l'invasion russe en Ukraine.
L'« artisanat furieux » (René Char) de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval est un abri antinucléaire qui a accueilli un nouveau partenaire de travail, le monteur musicien Alain Franco, artisan d'une « dramaturgie musicale » qui participe à faire la singularité de Nouveau Monde ! Nous l'avons rencontré à l'occasion d'un dialogue consacré à la fabrique de ses « matériaux-musiques », ces vents tourbillonnaires soufflant entre les herbes d'Ouessant.
Alexia Roux et Saad Chakali : Alain Franco, vous êtes pianiste et chef d'orchestre, avez étudié la musicologie, rejoint différents ensembles et orchestres à Lièges et Lyon, Francfort et Bruxelles où vous résidez, travaillé avec des metteurs en scène à l'instar d'Anne Teresa De Keersmaeker et Romeo Castellucci. Accordez-nous si vous le voulez quelques premiers mots au sujet de vos apprentissages et du trajet artistique accompli jusqu'à votre participation au nouveau film d'Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz, Nouveau Monde ! (Le monde à nouveau) ?
Alain Franco : Alexia, Saad, eh bien l’on peut dire qu’il s’inscrit effectivement dans une trajectoire qui va de l’interprétation – que j’ai pratiquée et que je pratique encore dans un spectre historique large – à la dramaturgie musicale. Le terme « dramaturgie » est bien connu dans l’univers théâtral – et j’ai certainement contribué à ce qu’il le devienne par rapport à l’univers sonore et musical. C’est du reste ainsi que j’ai souhaité être mentionné au générique du film – puisqu’il ne s’agit pas de composition. C’est une distinction qui me paraît évidente mais que j’ai souvent besoin d’expliciter. Nous y reviendrons peut-être plus avant dans cet entretien. Ce qu’il me paraît important à signaler d’emblée c’est que la dramaturgie musicale implique d’emblée l’idée du montage. Et ce nouage nous met au voisinage du cinéma.
En distinguant la dramaturgie de l'interprétation, vous établissez deux conjonctions entre trois mondes de l'art hétérogènes, de la musique au théâtre et du théâtre au cinéma. La modalité qui fait suture serait donc le montage, qui est l'une des inventions du cinéma, peut-être la plus grande, peut-être la seule si l'on suit Jean-Luc Godard. À voir et revoir Nouveau Monde !, on s'est dit en effet que vous aviez travaillé, à partir de différents matériaux musicaux et sonores collectés, en monteur. Comment a émergé cette idée d'« interférences » dont les ponctuations contribuent à faire la singularité du film ?
A. F. : J'aimerais adjoindre l'idée de « résonance » au terme interférence. En posant immédiatement la question : à propos de quoi ? Et là il faut développer. On a coutume – à tort ou à raison – de jongler avec des concepts de « musique pure », abstraite, relevant de « l'innommable » pour reprendre le terme cher à Jankélévitch. Par ailleurs il existe une tradition tout aussi vaste de musique dite fonctionnelle ou « à programme » – et qui au contraire tend à vouloir signifier autrement qu'avec les mots – une espèce de langue métaphysique qui plane au-dessus de la scène (à l'opéra par exemple). Je ne me situe ni dans l'un ni dans l'autre. Car en réalité je travaille avec les sons comme s'il s'agissait de « plans sonores » - allant même jusqu'à considérer qu'ils ont été « tournés » dans les « champs épistémiques de l'Histoire » – si je puis me permettre une métaphore de cet ordre. On ne sera pas étonné de lire ici que je considère donc mon travail comme relevant de la « Cinémusique ». Interférence c'est donc effectivement le terme qui sous les auspices du cinéma pense le son/image. Donc bien au-delà de savoir si on est dans l'abstraction ou l'illustration – ça c'est un souci que je ne comprends en réalité pas – ou plus.
Interférences ou résonances nomment avec justesse vos expérimentations. On aimerait entrer un peu dans la fabrique ou l'atelier, que vous nous disiez comment vous avez travaillé avec Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz. Vous ont-ils communiqué des fragments de leur film à partir desquels vous avez construit vos propositions ou bien votre travail a-t-il été mené une fois le film accompli ? Un premier sentiment est que ces résonances ou interférences surgissent avec une force tourbillonnaire, comme des sources jaillissantes de l'origine dont parlait Walter Benjamin, ces tourbillons dans le flux du devenir. Un autre est qu'elles émergeraient d'un vaste fond, sonore et musical, ayant pour plan d'immanence et de consistance l'histoire du cinéma. Nouveau Monde ! est un film ainsi monté sur plusieurs plans ou niveaux, un feuilleté de montages, celui des cinéastes et le vôtre qui s'y agrège et s'y engage.
A. F. : Le film était en cours de montage au moment où j’ai commencé à y participer. Nicolas m’a envoyé plusieurs séquences, et ultérieurement plusieurs versions du film. Nous avons travaillé en proximité (à Fécamp, chez eux) et à distance, moi depuis Bruxelles. Alors je suis très heureux de votre formule « feuilleté de montages » parce que j’ai effectivement l’impression que le résultat final c’est qu’on écoute autant l’image que l'on voit le son dans le film (c’est du reste une formule de Jean-Luc Godard ça). C’est un film qui raconte l’Histoire au lieu de raconter une histoire – la charge historique des séquences musicales y joue donc un rôle moteur : je serais presque tenté de dire que c’est une affaire de travelling – puisque ça veut dire « voyage ». Nicolas est un grand amateur et connaisseur de musique et avait sélectionné un certain nombre de séquences sonores – que j’ai partiellement amendées et qui ont été aussi reprises dans le matériau que j’ai constitué. Il y a donc eu des moments où l’on peut considérer que nous avons monté conjointement le film. La « minute au noir » dans le film en constitue l’un des exemples les plus frappants sans doute.
En effet, quand on a évoqué tout à l'heure l'idée benjaminienne du tourbillon, c'est une image que l'on voit essaimer partout, avec des eaux, des sources, des canaux, toute une hydrographie imaginaire ou fictive qui infiltrerait les paysages documentaires d'Ouessant pour en modifier la structure, mentalement. Tantôt l'on pense à des poches d'eaux souterraines, des nappes phréatiques (peut-être avez-vous alors travaillé avec les cinéastes comme des sourciers), tantôt l'on penche du côté des greffes, boutons, rameaux, bourgeons (on songe là au jardinier et l'on sait comment l'image de la main verte va comme un gant à Élisabeth Perceval, jusqu'à voir sa main posée sur le bitume en faisant surgir des plantes saxifrages de ses craquelures). Avant de suivre l'épars des ponctuations ciné-musicales et du sens qu'elles font fuir en tout sens, n'est-ce pas là aussi la possibilité de faire surgir de la fiction comme le film invite un faune renoirien à déclamer du Léonard de Vinci en semant aux quatre vents de la poésie ?
A. F. : Je préférerais dire qu’il s’agit de fictif – fiction nous rapproche trop d’une problématique de scénario qui reste tout de même à l’écart de ce travail. Mais ça ne veut pas dire que le film ne navigue (ou laboure) en divers modes d’énonciation, de narration. Ils forment une constellation d’indices qui renvoient à un historique de captures – et ce qu’il en advient lorsqu’on les relâche…
En lisant ce que vous écrivez au sujet des captures et des relâches, on se souvient alors de la façon dont Fernand Deligny voyait, dans son texte intitulé « Acheminement vers l'image » (1987), un rapport de voisinage entre les images et les animaux sauvages, les unes et les autres pouvant être domestiquées et engraissées, tenues en laisse et gavées afin de les rendre comestibles. « L'être humain, écrit-il encore, réagit au passage de l'image ». On a en tête ici les animaux marins irradiés de la fin de Nouveau Monde !, la faune des bois filmée en caméra thermique à la fin de Nous disons révolution (2020). Vos propositions tourbillonnaires sont des feuilletés, elles sont herbues aussi. Elles partageraient encore cette « sauvagèreté » comme le concept en a été soufflé par un autre ami de la galaxie Klotz et Perceval, le philosophe Frédéric Neyrat. On pourrait précisément s'attarder sur l'image ouvrant Nouveau Monde !, cette « minute au noir » qui plongerait dans ou reviendrait du noir du temps. Le noir est ce qui se voit en sécession de la représentation, tandis que ce qui s'écoute séjourne dans la zone où le bruit industriel se fait musique sérielle. Comment cette image a-t-elle poussé entre vous ?
A. F. : Ce « plan sonore » s’est présenté ainsi : comment compresser le temps tout en demeurant dans les horizons larges – paradigme qui traverse par ailleurs le film. J’ai donc réfléchi – ici aussi – en pensant « matériau » avant de penser « musique ». En une minute nous traversons deux siècles d’Histoire. Le temps défile – il n’y a pas lieu d’essayer de savoir comment – il ne faut pas chercher à « y voir clair ». Les enchaînements d’accords se font par exemple toujours ailleurs que de là où ils sont issus. Donc il y a bien un lien de territoire – ce sont les apparentements des tonalités – mais c’est un territoire qui n’est pas concret – il n’est en ce sens pas visible, ni à visualiser. Et pourtant on y entend un peuplement extrêmement dense. Ce n’est pas la musique qui sonne ainsi : c’est le matériau. C’est précisément ce qui m’a convaincu (et Nicolas également) du noir à l’écran – parce qu’il fallait laisser le son traverser la toile (filante ?). Le plan d’eau qui y succède est une respiration – mais on ne sait pas si elle vient d’en haut ou d’en bas. René Char ne dit-il pas : « Jadis Terre et Ciel se haïssaient mais Terre et Ciel vivaient. »
Dans le même poème « Jacquemard et Julia » issu du recueil Le Poème pulvérisé, un peu avant le vers que vous citez, René Char avait déjà écrit : « Jadis l'herbe connaissait mille devises qui ne se contrariaient pas. Elle était la providence des visages baignés de larmes. Elle incantait les animaux, donnait asile à l'erreur. Son étendue était comparable au ciel qui a vaincu la peur du temps et allégi la douleur ». Le plan sonore au sujet duquel nous nous entretenons est une autre étendue de ciel et d'herbes, un autre asile au divers des devises et son rhizome a des brins qui se joignent comme des poignées de mains. Peut-être nos oreilles ont-elles halluciné, peut-être avons-nous rêvé, peut-être l'avons-nous désiré mais l'on se demande si vous n'avez pas conspiré à la secrète amitié des Pierrot, un fragment du Pierrot lunaire d'Arnold Schönberg qui aurait été ajointé à un autre issu de la musique écrite par Antoine Duhamel pour Pierrot le Fou. Plus tard, les mains de Claude Debussy s'allient à distance à celles de Hans Otte. Monter en croisant le brin des matériaux, c'est penser aussi avec ses mains...
A. F. : Bien sûr : je dirais même que l’on pense avec ses oreilles – en tout cas c’est ce qu’il me semble. Le travail que je fais est du reste impensable – et je veux bien y adjoindre « injoignable » si l’on n’y associe pas la mémoire – qu’il faut entendre au pluriel puisqu’elles ne sont bien entendues pas uniquement synaptiques. Ce sont des mémoires de gestes, de partitions, de cinéma, de systèmes, de théorie. Et puis il me semble également qu’il y a « du mémoriel » à l’œuvre qui n’est ni ceci ni cela en particulier mais agit comme une profondeur de champ intérieure (pour la profondeur) – intérieur (pour le champ). Donc moi je n’ai peut-être pas pensé à Pierrot Lunaire pour Pierrot le Fou – mais à l’évidence on l’a fait à l’écoute et à l’écran. C’est un « complément d’écriture » que l’on souhaite évidemment.
On aimerait aborder un autre moment herbeux et tourbillonnaire, une autre résonance ou interférence qui a une force étonnante de concaténation, la puissance d'émergence d'une explosion, surrection montagneuse ou rayonnement fossile du Big Bang. C'est à nouveau un plan noir et l'on y entend (ou croit y entendre – ici, l'écoute se fait toujours délirante) des sons passés à l'envers comme à l'époque des bandes magnétiques, une limaille de bruits parasites comme en émettent les téléphones portables, et puis le premier accord du fameux allegretto de la 7ème symphonie de Beethoven, et même l'inflexion de la voix de Léo Ferré. L'image qui s'imprime alors sur la toile de projection de notre cerveau, c'est à la fois l'exaltation romantique et son empêchement, l'éruption volcanique et sa contention, la tension menaçante et sa retenue. Une telle proposition a valeur de paradigme pour un film qui, comme Nouveau Monde !, sent monter l'imminence de la fin (du monde tel qu'il implose) en sautant par-dessus sa conclusion apocalyptique. Faire un pas en arrière pour faire un pas au-delà, là où le monde qui s'achève de rage demeure cependant dans la disposition native du recommencement.
A. F. : J'en profite pour rappeler ici que le fait de penser « matériau » et non pas « musique » est le dispositif qui permet de travailler avec la mémoire – qui elle non plus n’est pas unilatéralement musicale, mais iconique, technique, médiale. Il me semble du reste que toute pensée du monde d’après – j’ose même affirmer qu’on partage cette analyse quel que soit son bord politique ou la lecture qu’on fait des temps présents – se conçoit dans une densité suprême, dans le temps superposé et compressé – métaphore qui désigne les disques de stockage et de traitement des données. Le travail que je fais – par exemple – est impensable en dehors de cette constellation. Nous revenons en cela – et dans la stupéfaction la plus étonnante – au concept de valeur d’usage et d’échange exposé par Karl Marx.
On vous lit en ayant peut-être compris ceci : comme praticien du montage sonore et musical, vous délieriez la valeur d'usage de la valeur d'échange, le matériau cité ainsi soustrait à toute obligation marchande. Au droit de citation, vous opposeriez donc un droit de cité qui est le devoir de donner hospitalité aux images que relaient les supports matériels de la mémoire – ces « hypomnèses » dont Bernard Stiegler parlait en prenant appui sur Michel Foucault. Aussi, comment avez-vous travaillé à partir de cet autre matériau que sont les prises en son direct d'Élisabeth Perceval sur l'île d'Ouessant ? Vos propositions jaillissantes, interférentes et résonantes, sont-elles également l'expression de l'émotion ressentie par le spectateur que vous avez été devant le film en train de se faire, et qui vous a donné abri ?
A. F. : Je ne pense même pas en terme de droit – il me semble que le processus d’écriture ne se subsume jamais à ce que l’on prétend y avoir généré. Cette part « flottante » – l’intellect général de Marx –, ça au moins on est sûr qu’on ne peut pas la revendiquer. Je prends un exemple dans mon domaine – mais clairement à l’autre bout de la chaîne... Lorsque John Williams prélève ses sources pour Star Wars chez Korngold et Stravinsky, on constate au résultat que l’histoire de ce matériau a été liquidée pour y substituer une chaîne de production d’idéologie. Les trombones servent à signifier « on va gagner », les accords multipolaires à annoncer qu’il y a de l’eau dans le gaz. Bon, ben voilà : j’ai des intérêts plus vastes – où l’intrication entre analyse de l’Histoire, théories des Récits et réflexions sur le Matériau sont à l’œuvre. Je peux offrir quelque chose – Williams par contre est obligé de vendre. Quant au son direct je ne dirais pas que je l’ai retravaillé mais plutôt recousu avec par exemple les bandes-sons des films de Jean Epstein. Ouessant est ainsi présent de plusieurs manières : le « maintenant d’avant » que la technique permet (c’est également le cas lorsque Debussy joue Debussy dans le film) et le « maintenant pour tout à l’heure » que le film articule. (Peut-être un point de discussion par rapport aux thèses de Heidegger sur la dépossession à l’ère de la technique ?). Ceci dit je profite de ce moment d’évocation du son direct pour saluer « l’Artisanat Furieux » (René Char à nouveau) des Klotz-Perceval dans Nouveau Monde !
La dramaturgie musicale, disiez-vous au début de notre entretien, implique le montage. Dit autrement, vous n'interprétez pas ce que les cinéastes vous ont présenté, vous expérimentez des rapports nouveaux entre matériaux depuis l'historicité qui les caractérise. Nouveau Monde ! est un film qui redonne au « maintenant qui vient » une charge explosive, d'étonnantes déflagrations qui sont des métamorphoses aussi, Patti Smith et Rosalia avec Hannah Arendt, les naufragés hongrois de Béla Tarr avec les marins bretons de Jean Epstein, les voix amies d'Henri Bergson et Jean-Pierre Léaud, René Char et François Tanguy à qui le film est dédié, sans oublier Fosco Corliano parlant la langue de Vinci comme s'il en semait la poésie sur la terre venteuse d'Ouessant. Jusqu'à la conflagration provoquée par l'image de la petite fille soudanaise échouée sur une plage tunisienne, suivie des archives irradiées de l'invasion russe en Ukraine et l'inversion-solarisation des vues marines et aquatiques. Cette secousse sismique, comment a-t-elle affecté, ébranlé le cours de vos « matériaux-musiques » ?
A. F. : Je serais tenté de répondre d’emblée que penser le matériau, penser dramaturgiquement c’est un dispositif synaptique. En ce sens j’ai ressenti assez rapidement être en grande proximité de ce film précisément parce qu’il affleurait une interrogation similaire à celle qui pilote mes travaux – qui ont été par ailleurs très peu nombreux pour le cinéma jusqu’à présent (et je le regrette bien entendu). Je l’expliquerais ainsi : les similarités de situations – que j’ai appelées « paradigmatiques » à l'occasion d’une publication – que l’on retrouve essaimées dans le cours de l’Histoire n’ont aucune fonctionnalité assignée (ou alors c’est qu’on pense par provinces, voire provincialement….). Beethoven – que vous avez très justement identifié dans la fameuse « minute au noir » que nous avons évoqué précédemment – n’est pas là en tant que compositeur allemand – pas plus que Ferré ne l’est pour avoir une saveur de chanson française. Ce n’est pas ça qui m’intéresse – c’est une expression évadée, une résonance inachevée, prolongée. Je redéfinis du coup volontiers la dissonance comme du sonore dédoublé – et non pas à résoudre. Ce qui fait également que les distinctions d’usage du style classique / contemporain – instrumental / électronique sont sans objet. Jean-Luc Godard (dont on aura tout de même senti la présence palimpseste dans le film) avait un jour dit à propos des récits que « ce n’est pas l’histoire d’un couple » mais « un couple dans l’Histoire ». C’est une métaphore que je peux absolument adouber en disant que les enchaînements harmoniques, le contrepoint, les territorialités, les modules rythmiques, tout ça ce n’est pas propre à « une partition » en particulier mais c’est du matériau qui est en orbite. On comprend peut-être à travers ce développement pourquoi j’évoquais en début d'entretien l’idée des « plans sonores » pour tenter de définir comment je concevais la dramaturgie musicale. Et pourquoi Monde Nouveau ! est un pluriel en attente.
(Saint-Denis-Bruxelles,
28 août-1 septembre 2023)