La science-fiction a longtemps été considérée comme un genre mineur au cinéma. Des films dit de série B étaient le plus souvent privilégiés aux grosses productions, appelées séries A. Au début des années 50 et avec la crise économique fragilisant l'industrie hollywoodienne menacée par l'empire grandissant de la télévision, la tendance commença à s'inverser avec le film de Robert Wise, Le jour où la Terre s'arrêta de tourner (réalisé en 1951 et repris au cinéma par Scott Derrickson en 2008 avec Keanu Reeves dans le rôle principal).
Après un âge d’or des invasions extraterrestres, la thématique phare du cinéma de science-fiction des
années 50-60 devient plus sérieuse : l'atomisation du monde à cause du pessimisme ambiant (la Guerre froide s'est ouverte avec le traumatisme causé par les deux bombes nucléaires lâchées sur
Hiroshima et Nagasaki en 1945). Les grands réalisateurs sont désenchantés. Deux auteurs classiques de littérature sont principalement adaptés : Jules Verne (avec par exemple L’Île
mystérieuse de Cy Endfiel en 1961, Cinq semaine en ballon de Irwin Allen en 1963, et bien d'autres) et H.G. Wells (La Machine à explorer le temps de George Pal, en 1961 ou
même Les Premiers hommes dans la Lune de Nathan Juran en 1964). Malgré le pessimisme ambiant, le cinéma ne perd pas sa fonction de divertissement.
Le Voyage fantastique s'inscrit dans cette continuité (les moyens financiers donnés sont plus conséquents). Le film est un bon divertissement qui nous plonge dans « l'infini
complexité du corps humain » selon les propos de Richard Fleischer lui-même, rapportés par Raphaël Colson et André-François Ruaud dans leur ouvrage intitulé Science fiction : les
frontières de la modernité paru en 2008 chez Mnémos. Rappelons que deux ans plus tard, sortait 2001, l'odyssée de l'espace de Stanley
Kubrick, peut-être le plus grand film du genre à ce jour. La science fiction est désormais considérée comme un genre du cinéma à part entière. A cette même époque, le western connaît pour sa
part un déclin. En effet, sur Terre, puisque presque tous les territoires ont été découverts ou conquis, il faut trouver d'autres terrains à explorer. La science-fiction est alors le genre idéal
pour ces voyages vers d'autres galaxies lointaines, très lointaines.
Terra incognita de l'infiniment petit
Le Voyage fantastique, malgré son titre, relève bien de la science-fiction plutôt que du fantastique. L'originalité de cette œuvre - qui rappelons-le, a été novélisée par Isaac Asimov la
même année - réside dans le fait que l'exploration de l'espace intersidéral, l'infiniment grand du cosmos qui est mis en image mais bien son exact contraire : non pas l'extra-terrestre mais «
l'infra-terrestre », l'infiniment petit que contient le corps humain. Ces deux concepts opposés ont été déjà développés en opposition symétrique par Blaise Pascal. Pour lui, l'Humain est enfermé
en effet entre l'infiniment grand et l'infiniment petit :
« Rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l'enferment et le fuient »
La science-fiction a donc pris un chemin moins attendu, plus recentré sur l'humain et ses possibles explorations pour un meilleur contrôle du corps, plutôt que l'ouverture vers l'extérieur, vers
l'au-delà. Pourtant, Richard Matheson a déjà abordé la question du rétrécissement de l'être humain dans son ouvrage publié en 1956 et adapté au cinéma en 1958 par Jack Arnold, L'Homme qui rétrécit, long métrage qu'il a scénarisé lui-même. Les deux histoires n'appartiennent pas au même genre. En effet,
Le Voyage fantastique est une œuvre de science-fiction à part entière, avec la projection ou l'anticipation de tous les processus de rétrécissement qui sont bien expliqués, très
encadrés. En revanche, le héros imaginé par Matheson n'a aucune idée de ce que son corps subit. Est-ce à cause de ce nuage étrange annoncé dans l'incipit dont on ne connaît pas du tout la nature?
Est-ce une entité d'origine extraterrestre ? Une nappe radioactive échappée d'un laboratoire ? Comme plusieurs hypothèses sont possibles, nous ne sommes alors plus dans le domaine de la science
fiction, mais bien dans celui du fantastique.
Cette différence fondamentale (le doute) est typique du genre fantastique. Elle engendre chez le personnage touché par ce rétrécissement, une angoisse qui le pousse à remettre en question des «
acquis » de sa vie au fur et à mesure que le regard de son entourage change. Scott Carey ne sait pas du tout quand son rétrécissement va s'arrêter, si cet état sera permanent. Dans Le Voyage
fantastique, l'équipe de scientifiques qui va être miniaturisée et introduite à l'intérieur d'un corps humain sait pendant combien de temps va durer l'opération. Ce ne sont donc pas des
angoisses existentielles qui seront montrées mais plus des peurs « techniques » facilement surmontables (vont-ils sortir à temps du corps avant la fin du temps imparti ? Et comment sortir le
plus rapidement possible ? Par quelles voies ?
Même si le processus de rétrécissement n'est pas traité de la même façon (pour Matheson, il dure tout le long de son ouvrage alors qu'il ne couvre qu'une partie du Voyage fantastique), il existe
une phase identique dans les deux histoires : l'exploration d'une terra incognita. En effet, lorsque le héros comprend qu'il ne « disparaîtra » jamais et qu'un « nouveau monde
» s'offre à lui, le plaisir de l'exploration prend le dessus. Dans l'excipit, le lecteur le quitte « les sens en éveil », prêt à découvrir des nouvelles formes de vie, faire des
découvertes. C'est aussi le cas dans Le Voyage fantastique : l'équipe de scientifiques entreprend un voyage encore jamais effectué et fait des découvertes sur l'organisme humain, explore
des chemins. C'est un nouveau monde à investir, à découvrir complètement dans le premier cas. Dans le deuxième cas, les chirurgiens deviennent les cartographes du corps humain.
L'atomisation du péril rouge
Au fil du temps, un changement de point de vue s'effectue à propos de la question atomique. Cette question qui effraie dans L'Homme qui rétrécit (le nuage de l'incipit) serait
l'une des causes possibles du rétrécissement du personnage principal alors que cette énergie est « domestiquée », mise au service d'une opération chirurgicale inédite et de grande envergure.
Désormais, l'énergie atomique est utilisée au service de médecine, précisément de la chirurgie. Dans ce film le procédé de miniaturisation est conservé jalousement par l'armée américaine. Dès l'ouverture du film, un message de propagande est affiché à propos de la conquête de l'espace amorcée par les américains et la possibilité de créer d'autres avancées technologiques aussi révolutionnaires comme celle du film. Cela démontre combien il était important de démontrer sa puissance, donc sa supériorité, même de la simuler pour tenter d'impressionner son adversaire (méthode largement utilisée pendant la guerre froide entre soviétiques et américains). Le concept de miniaturisation a été réellement développé notamment avec le concept de « nanotechnologie ». Les processeurs (puces, ordinateurs,...) sont réduits à une taille quasi microscopique (mais avec une plus grande puissance en parallèle) pour une plus grande discrétion, un meilleur travail d'espionnage. L'armée américaine est très impliquée dans cette affaire. Nous pouvons voir dans certains films de science-fiction qu'elle reste très présente pour contrer les menaces extraterrestres. Deux membres de l'équipe d'explorateurs sont militaires : ils ont une expérience d'hommes grenouilles ou de pilotes de sous marin.
Le Voyage fantastique présente deux camps opposés : les américains et ce qui semble être les soviétiques (nous sommes encore en pleine guerre froide). Pourtant, cet aspect du film n'est
pas le plus important, ce n'est qu'un prétexte pour aborder les thèmes principaux : la miniaturisation humaine et l'exploration du corps. Les ennemis du film ne sont jamais nommés directement :
ce sont « les autres » mais jamais plus précisément. Le prologue présentant l'agression du scientifique est silencieux : nous entendons les bruits d'explosion, de mitraillettes mais aucun
dialogue. Il n'existe pas d'épilogue à cette affaire comme si cet épisode n'avait au fond pas ou peu d'importance. L'anticommunisme hollywoodien marque ici un essoufflement contrairement à
d'anciens longs-métrages comme La Guerre des mondes où l'on pouvait aisément identifier les soviétiques aux extraterrestres.
Les deux camps possèdent la technologie pour miniaturiser les êtres et les choses. Pourtant personne n'arrive à la maîtriser complètement : la durée de miniaturisation ne peut excéder les 60
minutes. Un scientifique de l'est (tchèque) arrive à pallier ce problème mais décide d'offrir ses connaissances aux États-Unis, ce qui déclenche une chasse à l'homme: il est donc considéré comme
traître par les soviétiques. Il existe dans le film un autre cas de traîtrise : le spectateur apprend en même temps que Grant, l'un des membres de l'équipage considéré comme un homme de main
(c'est lui qui a escorté Jan Benes aux États-Unis), qu'un des scientifique de l'expédition est soupçonné de trahison. Une enquête est donc amorcée pour savoir si ces soupçons sont fondés.
Pourtant, le spectateur ne connaîtra jamais le fin mot de l'histoire : Jan Benes est-il sauvé (pour révéler ses secrets) ? Michaels (Donald Pleasence), l'un des scientifiques de l'expédition
était-il vraiment un traître sous les ordres de ces fameux autres ? Ce qui confirme que le conflit américano-russe n'est pas l'élément le plus important dans le film. D'ailleurs, à cette époque,
les deux pays connaissaient une période dite de « détente » entre 1963 et qui durera jusqu'en 1974. Le symbole qui illustre le mieux cette période est sans nul doute « l'horloge de l'apocalypse
», instrument créé en 1947 peu de temps après les bombardements atomiques au Japon. Celle-ci est toujours basée à l'université de Chicago et mesure le degré des différentes menaces qui pèsent sur
l'humanité (écologiques, atomiques, techniques...).
A sa création, l'horloge indiquait 11h53 (actuellement 11h54) et entre 1963 et 1968, 11h48. Cette mesure fait partie des trois plus basses, ce qui indique clairement le relâchement des conflits mondiaux (rappelons que ce recul de l'heure correspond à la signature entre les États-Unis et L'URSS d'un Traité d'interdiction partielle des essais nucléaires). Il faudra attendre les années 80 (1986 pour être plus précis) et le comics Watchmen de Alan Moore et Dave Gibbons pour voir l'horloge se rapprocher de plus en plus et atteindre 12h. Il n'en demeure pas moins qu'à l'heure du film, l'énergie atomique nécessaire à la miniaturisation de l'équipe induit aussi l'atomisation relative du péril rouge.
La morale du bien
(humanisme, créationnisme, sexisme)
Revenons à l'enquête pour découvrir qui est le traître, au début désigné comme étant le docteur Duval, dans l'équipe d'explorateurs. Certains signes montrent que le traître n'est pas forcément celui que l'on croit. En effet, nous pouvons remarquer certains petits éléments « perturbateurs » chez un autre membre de l'équipe, le docteur Michaels qui se révélera être le vrai traître. Ce dernier se révèle être le plus nerveux de l'équipe (il ne tient pas en place, il souffre de claustrophobie), contrairement à son confrère. De plus, il paraît clairement comme étant le moins déterminé à sauver le professeur Benes.
L'élément déterminant est bien entendu l'idéologie clairement affichée par les deux scientifiques. Le bon scientifique est un créationniste qui croit au dessin intelligent de la création divine, alors que le mauvais scientifique qui se double d'être le vrai traître est un darwiniste convaincu. Le darwinisme qui se présente comme une forme de science sans conscience (moins morale que religieuse du point de vue créationniste) se donne comme une preuve permettant de distinguer le méchant du gentil. On pourrait approfondir la vision idéologique défendue par un film qui semblerait presque montrer que la réussite du passage à l'ouest se donnerait à voir comme une opération de chirurgie réussie. Une opération soutenue par l'industrie alors balbutiante des nanotechnologies montrerait avec sa réussite l'abandon nécessaire de l'idéologie communiste, cette science sans conscience qu'il faut détruire comme un caillot de sang dans le cerveau.
Le docteur Duval est un humaniste pour autant que l'humanisme soit l'autre face du créationnisme. En effet, lors de sa première vision de l'intérieur du corps humain (les globules rouges), le
personnage précise les rapports de l'humanisme et du créationnisme. L'Homme, dit-il, est au centre de la création entre l'infiniment grand et l'infiniment petit et la domine. Cette vision
anthropocentrique révèle non seulement qu'humanisme et créationnisme sont les deux faces d'une même médaille mais également qu'une troisième face est le sexisme. Ce n'est pas un hasard que la
première tentative de définition par Grant de l'acronyme C.M.D.F. (qui correspond à l'entreprise de miniaturisation du film) soit : Contingent Mobilisable de Délinquantes Féminines (dans la
version française). Le film est par ailleurs aussi ponctué de remarques sexistes visant plus particulièrement le personnage joué par Raquel Welsh. Grant qui la voit pour la première fois
s'autorise ainsi à poser la question suivante : « Est-elle de confiance ? Elle est mignonne mais sait-on jamais... ».
Cora Petterson, qui rappelle un personnage semblable dans Hell and High Water (1954) de Samuel Fuller (dont
le contenu idéologique anticommuniste était bien plus affirmé), est donc la première assistante du professeur Duval. Son intervention dans la mission est rudement contestée dans un premier temps
par le colonel Reid (cette « recommandation » sera d'ailleurs clairement notifiée dans le rapport final). Le personnage n'est que faiblement consistant. On remarque qu'elle nourrit une attirance
pour son aîné le docteur Duval. Cette idée n'est que sous-entendue par un long silence gêné lorsque celle-ci parle de son supérieur à Grant. Cora Petterson est le seule personnage dont le travail
(la fixation du laser à un support pour éviter toute chute) est saboté. De plus, quand elle est en danger (pendant l'épisode dans l'oreille interne et l'attaque des anticorps), elle est le seul
personnage à être secouru par Grant qui a subi un danger similaire (il a été projeté loin du vaisseau mais sans avoir besoin d'aide pour être sauvé). Lors de cette séquence, les trois hommes (les
deux scientifiques plus Grant) sont obligés de décoller de force les anticorps qui menacent d'étouffer Cora Petterson et ce sauvetage autorise ces trois hommes à promener leurs mains sur sur son
corps.
Art optique et psychédélique
(un film Protée)
Le Voyage fantastique garde la simplicité des grandes tragédies classiques dans sa structure. Le film de Richard Fleischer possède une unité de lieu (le corps humain), d'action (une
expédition pour sauver le professeur) et de temps (tout se passe en moins de 24 heures). Ce dernier a d'ailleurs une valeur très importante, tantôt dilaté, tantôt contracté. En effet, comme le
démontre Bernard Stiegler à partir d'un épisode de la série TV Alfred Hitchcock Presents intitulé Four O'Clock
(1957), le rétrécissement de l'équipe d'explorateurs qui est censé durer une heure dure en réalité 45 minutes (temps réel de la projection) alors qu'au contraire, le temps est rallongé pour la
séquence de l'arrêt du cœur. La scène censée durer une minute dure en réalité à peu près le double. On aperçoit pendant ce laps de temps les actions simultanées des personnages mais les unes
après les autres.
Le temps du cinéma projette ainsi des mécanismes de sélection et d'abréviation, de condensation et de dilatation propres aux flux de la conscience vivante des spectateurs. C'est que le temps du cinéma, à l'instar du temps spectatoriel, est montage. Il y a une adoption prothétique de la durée vécue du spectateur par le temps construit du cinéma, et cette adoption autorise l'expérience imaginaire d'une tension (le « suspens » cher à Alfred Hitchcock) résultant des logiques phénoménologiques rétentionnelles (les images se suivent parce qu'elles se retiennent – la tension relève ici d'une retenue) et protentionnelles (les images s'anticipent à partir de leur retenue - cette anticipation ou projection est aussi tension) à l'œuvre dans l'écoulement de la conscience vivante (cf. Bernard Stiegler, La Technique et le temps. 3. Le temps du cinéma et la question du mal-être, éd. Galilée, 2001, p. 55-60).
Richard Fleischer a réalisé entre 1946 et 1989 des films de genres très différents les uns des autres : le péplum avec Barabbas (1962), la science-fiction avec Soleil vert
(1973), le film noir avec L'Assassin sans visage (1949), le western avec Duel dans la boue (1959). Le Voyage fantastique pourrait se voir aussi comme une synthèse de
tous ces genres. Le prologue nous fait penser successivement à un film noir, un film policier, un film d'espionnage (mâtiné du film d'aventures dont le cadre serait offert par un sous-marin,
comme dans Hell and High Water), et enfin de science-fiction. Cette idée de métamorphose est d'ailleurs reprise par le nom même du vaisseau d'exploration : Protos. Protée était
une divinité marine, gardien des troupeaux de phoques du dieu Poséidon. Mentionné dans L'Odyssée d'Homère, il avait la faculté de changer d'apparence (animal, minéral ou même végétal).
Le concepteur du vaisseau, Harper Goff, a également créé le Nautilus de Vingt Mille Lieues sous les mers (1954) d'après Jules Verne.
Max et Dave Fleischer, père et oncle de Richard Fleischer, sont les créateurs des personnages de Betty Boop et de Popeye. Ils sont aussi connus pour avoir inventé en 1915 le Rotoscope, l'une des
toutes premières techniques d'animation. La rotoscopie est une technique cinématographique consistant à reproduire image par image les aspects d'une figure filmée en prise de vue réelle pour en
retranscrire la forme et retraduire les actions dans un film d'animation. Richard Fleischer montre qu'il a hérité de ses
aînés, maîtres du dessin animé, un goût visuel très affirmé. Le Voyage fantastique est de fait très soigné plastiquement. Ce qui lui a permis de remporter l'oscar des meilleurs effets
spéciaux visuels, des meilleurs décors mais aussi une nomination à l'oscar pour la meilleure photo, des meilleurs effets spéciaux sonores et du meilleur montage.
Dans le prologue, nous apercevons notamment une voiture « descendre » à travers le sol. Les effets spéciaux utilisés sont les même que pour celui du rétrécissement de l'équipe : l'éloignement progressif de la caméra pour nous donner un sentiment de rétrécissement. Cette scène peut donc paraître comme une répétition du vrai rétrécissement mais aussi comme un clin d’œil envers Grant qui s'insurge sur la possibilité d'être diminué alors que vraisemblablement, il l'a déjà été. Lors des déplacements en combinaison de plongée, soit disant dans l'univers aqueux du corps humain, cette sensation a été obtenue grâce au ralentissement des images. Nous avons donc une impression de lourdeur, d'écrasement comme lorsque que nous sommes au fond de l'eau.
Le film de Richard Fleischer est par ailleurs très coloré et comporte beaucoup de formes géométriques. Contemporains des effets kaléidoscopiques et cinétiques de l'art optique (op' art),
les procédés employés sont combinés d'une certaine manière afin de créer des effets particuliers : des ambiguïtés spatiales, des impressions de mouvement, des effets de vibrations. Dans les
années soixante, le LSD (abrégé du mot allemand Lysergesäurediethylamid) a une énorme influence dans le milieu culturel et artistique :
littéraire, rock, pictural, cinématographique... Dans le film, nous retrouvons ce côté psychédélique qui peut aussi être provoqué par cette drogue hallucinogène. Le générique du Voyage
fantastique est aussi suggestif. Son idée sera reprise dans la série américaine de Kenneth Johnson, L'Homme qui valait trois milliards, diffusée entre les années 1974 et 1978 : les
plans d'une opération chirurgicale (à peu près les mêmes), l'utilisation des traceurs des appareils médicaux, la musique qui reprend les bips de ces mêmes appareils...
Les avatars du rétrécissement
Une reprise de l'idée de base de ce film (un voyage dans le corps humain par un être rétréci) a été plus tard réalisée par Joe Dante, le créateur des Gremlins : L'Aventure
intérieure (1987). L'histoire, sur un mode plus parodique, met en scène Dennis Quaid, rétréci et injecté accidentellement dans les fesses de la mauvaise personne, un homme complexé. Un
dialogue entre les deux personnages commence, le premier devient en quelque sorte le mentor du second ou son démon. Dans le Marvel Cinematic Universe, le personnage d'Ant-Man joue des changements
d'échelle comme d'un pouvoir de compensation donnant à un personnage considéré comme un minable la possibilité de rejoindre le groupe élitiste des nouveaux Prométhée hollywoodiens.
Si Le Voyage fantastique est plastiquement intéressant, il n'en reste pas moins bancal, notamment sur le plan idéologique. Isaac Asimov lui-même, sans remettre en cause la qualité du
film, a voulu significativement en réécrire l'histoire : « Mon roman Le voyage fantastique fut publié en 1966. C'était, en réalité, la novélisation d'un film dont le scénario avait
été écrit par quelqu'un d'autre. J'avais suivi d'aussi près que possible les péripéties de l'intrique, ne modifiant que les inconséquences scientifiques les plus insupportables. Je n'ai jamais
été satisfait de ce roman – bien qu'il ait très bien marché /../ - simplement parce que je n'ai jamais eu l'impression qu'il était vraiment de moi. Lorsqu'on m'a proposé d'écrire un autre roman
sur le même thème /../, je n'ai accepté qu'à condition de le rédiger à ma manière. Voici donc un deuxième Voyage fantastique Destination Cerveau. On en tirera peut-être un film, mais le
texte ne lui devra rien. Pour le meilleur et pour le pire, c'est mon roman. » Il est malheureux mais sûrement symptomatique aussi qu'aujourd'hui nous pouvons plus facilement trouver la
première version de l'histoire que la deuxième.
20 novembre 2010