Il faut aimer Les Anges du péché contre Robert Bresson. En se soustrayant de son auteur qui l'a renié, on peut considérer les beautés discrètes d'un premier long-métrage dédié aux résistances en filigrane, aux alchimies mystérieuses et au bien qui n'advient que dans la zone grise de l'impondérable. Les alliances et les accords du cœur ne sont pas le fait des intentions et des volontés personnelles trahissant des duplicités criminelles ou des fantasmes cachés sous des couches de piété, mais des hasards qui, seuls, ont la grâce de bien faire les choses qui est impersonnelle. Dans Les Anges du péché, sœur Anne-Marie qui aime tant Catherine de Sienne est aussi bien contemporaine de Simone Weil, sa sœur d'agonie.
L'exception et faire sécession (Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan et La Montagne de Thomas Salvador)
D'abord il y a eu l'exception qui confirme la règle. Ensuite il y a eu l'état d'exception qui est devenue la règle. Maintenant il y a la règle (non pas celle selon laquelle, tous, nous serions des singularités, et autant des exceptions, mais la règle des exceptions exclusives, les meilleurs d'entre nous méritant la reconnaissance sans ressentiment des moins bons que nous serions) et l'exception (qui consiste à faire sécession de cette règle qui reconduit aux vieilles hiérarchies).
L'éternité ne vient pas après le temps, elle a toujours déjà commencé avec lui en ouvrant à l'intérieur ce qui lui échappe, en déployant ce qui lui résiste. Le temps est ce qui dure en ne cessant pas de faire varier ses durées quand le temps ne travaille pas à les diviser : avec le temps chronologique qui saute hors de ses gonds par série d'instants opportuns et décisifs ; avec la chronique des temps historiques traversée par l'éternité qui circule librement à l'intérieur d'elle en incisant dans sa mobilité, et contre l’entropie, l'immobilité elle-même.
Dormir peut disposer aux sortilèges retors de l’inconscient, ces forces du dehors qui remuent au dedans. Tantôt le noir du sommeil répare ce que la veille aura usé et blanchi, tantôt il en fait la critique dans la donnée d’une énigme, des gestes du somnambule aux rêves qui visitent le dormeur en s’y agrippant. Il n’en demeure pas moins que l’ensommeillement n’est pas l’endormissement. Dans le premier cas, le sommeil invite à déceler la tombe que l’on porte en soi comme une crypte et à en libérer les spectres pour qu’on les affronte sous la forme d’une explication ; dans le second, le sommeil est une trappe pour le temps qui y choit en s’y aplatissant. Le réveil n’est pas le même alors, agité de problèmes ou bien reouvert d’amnésie.
Le grand cinéma indépendant étasunien des années 60-70, on ne le perçoit et très souvent ne l’apprécie que du côté blanc. Il faut aller le chercher aussi de l’autre côté de la couleur, dans un bush d’une nature bien spécifique, un arrière-pays de broussailles et de savane quelque part entre San Francisco et Los Angeles. C’est la belle rencontre par titre interposé entre deux films singuliers, Bushman (1971) de David Schickele et Bush Mama (1976) de Hailé Gerima.
Paul Schrader fait ses films dans l'idée, qui est plus qu'une idée mais une obsession, de se fouiller le ventre au scalpel. Il sait que ses héros, qui sont toujours peu ou prou ses doubles fantasmatiques, sont des fauves toujours prêts à bondir, de potentielles bombes humaines. Le passage à l'acte est leur plus intime démon, la tentation que rédime l'option d'une discipline, une machine avec ses techniques du corps et son écriture de soi que prolonge la forme même de ses films, tendus à se rompre. C'est pourquoi il y est autant question de morale brouillée que de l'éthique qui l'éclaircit, la première qui est la loi dont le désir pur est le sacrifice à des dieux obscurs, la seconde qui pousse l'ascèse jusqu'au rigorisme comme une camisole de force, le corset d'un vêtement de contention.
Toshirô Mifune, c'est la fulmination même. L'acteur japonais est furieux, ses yeux lancent la foudre, sa voix a des grondements de tonnerre, ses fureurs font lever de grands vents de poussière. Toshirô Mifune est secoué d'orages qui éclairent beaucoup des séismes du Japon de l'après-guerre, ses délires impériaux déçus, ses abandons forcés, ses ruminations de vaincu.
Si le monde est un château, avec son pont-levis, ses douves et ses meurtrières, un châtelain autrichien les observe de loin, du haut de la tour s'offrant à la roide distance de ses examens. Y pénétrer pour y trouver abri est malaisant, le droit d'entrée est élevé pour les manants. Il leur faudrait alors montrer pattes blanches pour que s'y abatte la règle de fer du seigneur qui n'accepte d'en être l'hôte qu'à s'en faire l'instructeur et maître. Son sadisme ne se paie que de notre masochisme en ayant pour sol un savoir en défaut d'un côté parce qu'il est de l'autre en excès.