Un film comme une machine de guerre, d'un côté qui coupe dans les flux d'images existantes en y prélevant des objets partiels (les milliers de plans retenus sur 400 films passés au hachoir d'une cinéphilie dévorante et compulsive qu'attise la pratique du téléchargement), de l'autre qui les recode au fil du rasoir d'une voix incorporelle découpant un récit de vie sur fond de désastre (l'auteur dit je dans la guise d'un agencement impersonnel d'énonciation qui taille son chemin dans la France de la casse sociale, des attentats et de l'état d'urgence).
Quand le voyageur arrive à Béjaïa, il est d'emblée accueilli par Yemma Gouraya, pic souverain de l'atlas tellien, grande mère des montagnes ou fière protectrice des adeptes de la lune selon les traductions arabe ou tamazight. Voir Yemma Gouraya invite à lever les yeux, c'est une perception qui, physiquement, soulève. Le soulèvement du regard répond au souvenir massif et élancé d'une immémoriale surrection, il prend acte de la promesse titanesque et tectonique d'une appétence à l'insurrection.
Avant de considérer la moisson de Demande à ton ombre, projeté au FID de Marseille où il a gagné le Grand Prix du Premier Film lors de l’édition 2012, revient à la mémoire la citation du poème État de siège (2002) de Mahmoud Darwich dont un fragment sera cité à comparaître dans le film suivant, intitulé Chroniques équivoques (2013) : « Ce siège durera jusqu'à ce que l'assiégeant, / Comme l'assiégé, réalise que l'ennui / Est l'un des attributs de l'Homme ».
La peau entre deux feux. D'un côté, le gars de la cité des 3000 d'Aulnay-sous-Bois rêve de devenir comédien mais celui qui a travaillé comme agent de sécurité dans un cabinet médical avant de découvrir la possibilité du théâtre a bien du mal à en partager la passion secrète avec les copains du quartier. De l'autre, l'élève en 3ème année du Cours Simon se sent bien seul, lui le garçon d'ascendance migratoire, coloniale et de parents d’origine subsaharienne, lui le prolétaire originaire de Seine-Saint-Denis détonne en effet au milieu de ses pairs qui partagent davantage une assurance bourgeoise et la peau plus claire.
Le sang a coulé, la tranche visqueuse et rouge d'une feuille de maïs en témoigne. Un homme sort hâtivement des fourrés, la machette à la main indique sans forcer sa culpabilité. Il se présente rapidement devant le frère de sa victime pour lui dire ceci : « Je suis l'assassin de ton frère ». Et son interlocuteur de ne rien lui répondre sinon de le laisser tranquille, qu'on lui fiche la paix.
Oser la fiction comme une nouvelle leçon d'histoire afin de la brosser à rebrousse-poil selon l'image benjaminienne, c'est désirer par exemple instruire des récits comme autant d'audacieux déplacements depuis les casernements dominant la représentation, c'est autrement dit expérimenter les troublantes discordances du contemporain, notamment dans une perspective post-coloniale : César de Mohamed Megdoul et Terminal Sud de Rabah Ameur-Zaïmeche.
« Chacun a ses raisons » : on connaît la sentence et son caractère indiscutable et définitif, il s’agit d’une opinion fréquemment émise et couramment partagée, qui voudrait quelquefois gagner en légitimité en s’associant à une citation fameuse, issue de l’un des films considérés comme l’un des chefs-d’œuvre du cinéma français, La Règle du jeu (1939) de Jean Renoir. La citation, censément exemplaire d’une complexité respectée des points de vue, est pourtant tronquée. La phrase exactement prononcée par le personnage de l’« ours » Octave interprété dans son propre film par le cinéaste lui-même dit précisément ceci : « Ce qu’il y a de plus terrible sur cette Terre est que tout le monde a ses raisons ».
Il nous arrive, souvent (au pire on exagère), parfois (au mieux on minimise), de souffrir quand, intercalées in ou off en ponctuations circonstanciées du tissu de la narration, les chansons représentent un répertoire d'affects réflexes où le cinéma puise quasi-machinalement les preuves flagrantes, à la fois sonores et trébuchantes, d'une culture affectivement partagée.
La mort du cinéma, le discours est daté, il est apparu pendant les années 1980 avant de refluer au tournant des années 2000. Portée par deux générations pour laquelle la cinéphilie a été celle des « ciné-fils », Jean-Luc Godard, Wim Wenders (et Serge Daney à qui l'on reprend le mot-valise), la mort de cinéma comme discours se posait à l'heure tardive de la modernité où certains de ses effets de rupture avaient été intégrés, banalisés voire neutralisés au profit, tantôt d'un retour du cinéma de la qualité et d'illustration culturelle, tantôt d'un maniérisme des fictions postmodernes.
Le ciel est blanc immense, la terre une maigre bande rocailleuse. À l'horizon déboule un homme en voiture, il roule avec le feu des gendarmes au pare-choc arrière. Quand le véhicule tombe en panne au beau milieu de nulle part, son conducteur furieux n'a pas d'autre choix que d'y enterrer un sac bourré d'argent, raison de sa cavale. Mais où ? Une colline surmontée d'un arbre mort ferait l'affaire mais cela ne suffit pas. Pour bien marquer l'endroit où cacher le magot et pouvoir ainsi le repérer quand l'heure viendra de pouvoir enfin en récupérer le contenu, le voleur y creuse hâtivement un trou en forme de tombe, avec son monticule de terre caractéristique et son encadrement rectangulaire composé de quelques pierres.