Peut-être William Friedkin a-t-il pris son patronyme un peu trop au sérieux : le proche (kin) y prend souvent chez lui la forme du frit (fried). Ses meilleurs films sont en effet ceux où il plonge la volaille du quotidien américain dans l'huile de friture des genres poussés avec l'aiguille du potard dans le rouge.
Maurice Blanchot aimait beaucoup Henry James, en particulier Le Tour d'écrou dont il reconnaissait que l'écrivain y avait mis tout son art, qui est son secret et la certitude que son image est aussi glissante qu'inaccessible.
Aux Philippines, le crime n'est pas ce que traque la police mais ce dont elle participe. Être policier est un crime, une nuit de l'âme dans une chair qui pourrit. En plan rapproché, c'est une inflammation de la peau et de l'esprit ; en plan large, du sable comme de la poudre noire qui recouvre les dalles d'une maison de bord de plage. La dernière chronique de Lav Diaz consiste à mettre la police aux arrêts. Et si l'allégorie pétrifie avant d'effriter, c'est autant par démoralisation que par desquamation.
Cher Rabah,
Le Gang des bois du temple : depuis qu’on l’a découvert il y a un an, on n’a eu de cesse d’y réfléchir. Contrairement à tous tes films jusqu’à Histoire de Judas, celui-là à l’instar du précédent, Terminal Sud, ne va pourtant pas pour nous de soi. Si ton nouveau film continue de nous travailler encore, c’est parce que son travail est celui du négatif et que le négatif est ce qu’il nous faut interroger alors.
Refaire le procès de Pierre Goldman n'appellera pas, pour Cédric Kahn, la possibilité de faire le procès du procès. Chacun des protagonistes n'a d'autre raison en effet que de camper sur ses positions, les accusateurs qui accusent, les défenseurs qui défendent, les témoins qui témoignent, et le public d'obéir à la loi d'airain des tautologies. Et tous commandés sans exception à rester à leur place, croyant ou non en l'innocence du présumé coupable. Le fer croisé des perspectives conduit à la neutralisation facticement objective des antagonismes, qui ne tient à la fin que d'un cas de divorce.
Sur le tapis roulant d'un supermarché quelconque, les quartiers de viande rouge s'accumulent. Il forment un tas de barbaque qui en dit long sur la marchandise qui ne fait aucun cas ni quartier de nos vies. La réfrigération marchande du monde a ses séries d'équivalence, produits étiquetés et les autres dont la péremption a la poubelle pour destination.
Le petit homme jeté par un accidentel rétrécissement dans la cave de la modernité, infantilisé, dégradé en freak, jouet, proie, rebut, déchet est le héros retrouvé du vieux cercle pascalien, le héros épique d'une nouvelle caverne platonicienne. Et l'on n'en sort avec lui qu'en faisant un sort définitif aux illusions réellement catastrophiques de l'Homme derrière quoi se cachent la domination masculine et occidentale, ainsi que l'empire économique de sa raison, publicitaire et instrumentale. Le rapetissement n'est pas synonyme de petitesse, au contraire, ce qui s'ouvre au petit homme est immense. La cruauté métaphysique de L'Homme qui rétrécit est animée par un rire philosophique, pour finir par un grand oui à la vie dont le Big Bang est l'un des noms.
Pour les uns, la Chine est proche ; pour les autres, elle est encore loin. Avec le fleuve immense des films de Wang Bing, cette grande machine à découdre, la Chine est un monde peuplé de mutants dont les transformations ont une ampleur continentale, et même mondiale.