The Hitcher (1986) de Robert Harmon

Enchaînés, tamponnés

Le cinéma hollywoodien a le penchant des poursuites parce qu'il a la passion des persécutions. Le road-movie en est un genre plébiscité, désaxant destinations toutes tracées et vocations bien établies pour les dérouter. Et ouvrir ainsi au désert, celui inaugural des Rapaces (1924) d'Erich von Stroheim, où tout recommence d'un rapport aussi fondamental qu'initiatique à la violence - le degré zéro de l'arithmétique mentale étasunienne.

 

 

Initiation, dépucelage

 

 

 

 

 

Le jeune homme percuté dans sa vie par l'autostoppeur de The Hitcher le perçoit d'abord comme un parasite qu'il faut expulser tant il fait interposition, avant de reconnaître tardivement le démon comme un mentor. Si le film de Robert Harmon rejoue la partition minimaliste de Duel, c'est pour en varier aussi les harmoniques, en se souvenant heureusement que son vrai prédécesseur, plus que la séquence de pluie et de désert de Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock, est Le Voyage de la peur (Hitchhiker en v.o., 1953) d'Ida Lupino. Encore que, du hitcher ou hitchhiker au maître du suspense surnommé « Hitch », il y a un mot, hitch, qui signifie l'attelage.

 

 

 

C. Thomas Howell vient de E.T. de Steven Spielberg et Outsiders de Francis Ford Coppola. Rutger Hauer revient de La Chair et le sang de Paul Verhoven (Jennifer Jason Leigh aussi). L'attelage des deux tient du percutage avant d'être ressaisi comme un dépucelage. Si le démon parasite est une pure idée, il n'en est pas moins joué avec malice. Le Père Fouettard est un éraste et sa victime, l'éromène sur lequel il a jeté son dévolu. Le frisson pédérastique entraîne toutefois plus loin que le petit jeu des latence homosexuelles. A ce titre, The Hitcher emboutit par derrière le virilisme homo-érotique de son contemporain, Top Gun de Tony Scott, en en délivrant la part obscène. L'initiation est celle d'une violence hétérogène aux garants répugnants de son monopole (les flics texans). Elle l'est aussi d'une hétérosexualité que rompent les jeux entre garçons (la fille coupée entre deux camions). L'éraste s'interpose en menant au désert d'où ne sortira pas l'éromène.

 

 

 

La suture métaphysique de la violence et du sexe a une bande homo déboutant l'autre bande, l'envers hétéro du ruban. Attention, ce n'est pas question d'homosexualité, mais de son refoulement délirant chez des hommes pour lesquels les femmes ne sont que du semblant. La fille meurt par non-choix et hors-champ ; son agresseur, frontalement.

 

 

 

 

 

Double bande, a tergo

 

 

 

 

 

Le mentor, brutal et facétieux, est un malin génie et le garçon, en ne sauvant pas la fille, a choisi celui qui l'aura choisi. Consentir à la violence, en avoir le désir ne conduit pas au redressement héroïque du mâle américain amolli par le quotidien (ça, c'est la morale réactionnaire de Steven Spielberg), mais au désert pour célibataires qui n'aiment pas les femmes. Même le poster final a pour intérêt d'écraser toute perspective. La violence fait tant bander ces hommes-là qu'elles les carambolent (c'est un tampon), et les projettent au-delà de la barrière de sécurité du code de la route straight (les femmes, ces mêmes hommes s'en tamponnent).

 

 

 

Le tampon est l'affranchissement des enchaînés qui ne s'emboutissent qu'à aboutir à un monde sans femmes.

 

 

 

Tout road-movie quand il est réussi est à deux voies, two-lane, la poursuite (c'est le moteur des narrations qui s'emballent) et la persécution (la chasse à l'homme engage à l'expulsion de la femme, c'est déjà là dans Chasse à l'homme de Fritz Lang). Ridley Scott en proposera sa version féminine (Thelma et Louise) ; Gus Van Sant, sa variante ado-homo adoucie (Gerry) ; Bruno Dumont, sa traduction hétéro-ultra-angoissée (Twenty-Nine Palms). Aucun ne retrouvera cependant la littéralité des doubles bandes conduisant comme dans The Hitcher à l'aporie a tergo. Sauf, peut-être, le premier Jeepers Creepers (2001) de Victor Salva, produit par Francis Ford Coppola.

 

 

 

12 avril 2024