Ronit Elkabetz, fée Viviane, sorcière Amsalem

La peau blanche (d'ivoire, forcément) et la longue crinière noire (d'ébène, évidemment), statuaire de grande gigue brune au regard de ténèbres, la voix doucement éraillée et traînante, une sorcière gothique battant comme le sang sous des airs marmoréens de tragédienne antique : Ronit Elkabetz était un peu la fée Viviane du cinéma (israélien, mais pas que). Si tôt (deux grandes décennies à peine) qu'elle serait déjà repartie dans sa forêt de Brocéliande, y ayant appris quelques mémorables tours de, magie, de cette magie grise, moins bretonne cependant que judéo-arabe (née dans le Néguev, sa famille était originaire d'Essaouira au Maroc).

Ronit Elkabetz à Paris, en février 2005.

Comédienne célèbre dès l'âge de 25 ans avec son premier rôle dans Le Prédestiné (1990) de Daniel Wachsmann, Ronit Elkabetz a avoué n'avoir jamais fréquenté d'école de comédie. Sept ans plus tard, elle se décide à émigrer en France pour apprendre le métier aux côtés d'Ariane Mnouchkine, d'abord modestement, en s'occupant de faire à manger en assurant le service de restauration après les représentations. Théâtrale chez Amos Gitai (Alila en 1998), Ronit Elkabetz est grandiose en mère prostituée dans le fassbinderien Mon trésor (2004) de Keren Yedaya, Caméra d'or plus que méritée au Festival de Cannes de cette édition-là. Elle défendra d'autres interprétations notables, entre autres chez Dover Kosashvili (Mariage tardif en 2001), André Téchiné (La Fille du RER en 2009), Brigitte Sy (Les Mains libres en 2010). Mais l'essentiel, elle s'en sera chargé elle-même.

 

 

 

N'étant jamais mieux servie que par soi-même, Ronit Elkabetz décide en compagnie de son frère cadet Shlomi de passer en effet directement à la mise en scène. Pendant dix ans, elle tourne une importante trilogie (Prendre femme en 2004, Sept jours en 2007 et Gett - Le Procès de Viviane Amsalem en 2014) qui compte dans le cinéma israélien contemporain. A trois reprises, donc, la figure de Viviane incarnée par son double dans le souvenir de sa mère coiffeuse aura héroïquement exemplifié, selon des contextes historiques d'ailleurs à chaque fois différenciés, les contradictions de la société israélienne, aussi bien moderne dans son appropriation de l'individualisme néolibéral qu'archaïque dans l'entretien d'un vieux fond patriarcal. Mieux (ou pire), et la chose ne cessant d'enfler jusqu'au Procès de Viviane Amsalem, les rapports de pouvoir caractérisant la domination des femmes par les hommes révèlent un assujettissement du registre civil et marital sur un régime du jugement représenté par l'orthodoxie religieuse, ainsi qu'un communautarisme asymétrique en raison duquel les juifs arabes ou Mizrahim souffrent d'une infériorisation systématique, pour ne pas dire systémique, face à la majorité ashkénaze.

 

 

 

Ronit Elkabetz, comme militante féministe et comme réalisatrice éprise de modernité, avait des choses à défendre et d'autres à énoncer. Ce qui pouvait, certes, la conduire à un certain didactisme. Mais, quand même, la magie grise dont cette fée Viviane a été capable lui aura également permis, via les scènes du théâtre israélien de la féminité contrainte, de la sphère domestique à celle du tribunal civil imprégné de religieux, de toucher au fondement théocratique de l'État hébreu. Ronit Elkabetz se sera débrouillée aussi pour que les recettes pâtissières de la comédie populaire israélienne (les bourékas) soient appliquées avec un esprit de sorcellerie féminine revenu peut-être de Carl T. Dreyer.

 

 

 

19 avril 2016

Le Procès de Viviane Amsalem (2014)

de Ronit et Shlomi Elkabetz

Fée Viviane, sorcière Amsalem

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Le contre-procès du procès

 

 

 

 

Dans le cycle des légendes arthuriennes, Viviane est la fée dont devient amoureux son maître en magie, Merlin l'enchanteur, qui finit enfermé par elle dans une prison invisible. Dans la trilogie réalisée par Ronit Elkabetz et son frère Shlomi, Viviane interprétée par la première est cette israélienne issue de la communauté mizrahim dont le désir d'émancipation des rigidités familiales et patriarcales qui structurent son groupe d'appartenance la pousse à être identifiée à une sorcière successivement emmurée dans trois prisons symboliques. D'abord la cuisine durant les trois jours précédant shabbat en 1979 (Prendre femme en 2004). Ensuite la maison accueillant le deuil d'un proche pendant une semaine en 1991 (Les Sept jours en 2007). Enfin le tribunal religieux nécessaire à l'établissement d'un divorce au terme d'une longue bataille juridique ayant duré plusieurs années (Le Procès de Viviane Amsalem).

 

 

 

Si le titre original du troisième volet, « Gett », signifie le divorce en hébreu, le titre français serait autrement plus frontal et explicite sur le plan de ses ambitions politiques. Celles-ci consistent, d'une part, à révéler que la demande de divorce se retourne en procès stigmatisant une femme ayant dérogé au rôle social exigé par l'ordre patriarcal. D'autre part, l'enjeu consiste à proposer de façon dialectique le contre-procés du procès lui-même afin de porter témoignage de l'existence d'une captivité redoublée, celle des femmes par les hommes comme celle de la société civile israélienne par les autorités religieuses. Le prix du fondement théologique de l'État hébreu coûte particulièrement cher alors pour les femmes israéliennes, otages involontaires de l'absence politique d'une législation civile dans le règlement formellement égalitaire des contrats de mariage et leurs conventions (comme dans Kadosh d'Amos Gitai en 1999, tourné dans le quartier ultra-orthodoxe Méa Shéarim de Jérusalem).

 

 

 

Idéalement, Le Procès de Viviane Amsalem exposerait un double visage, kafkaïen et dreyerien.

 

 

 

Sur un versant kafkaïen, on trouve la critique de la rationalité du pouvoir de juger révélant l'arbitraire absurde caractérisant le fondement « mystique » de son autorité (pour citer Montaigne). Sur le versant dreyerien, on voit la domination masculine brûler, symboliquement ou non, ses opposantes en les clouant au pilori de procès en sorcellerie. Ainsi s'affirmerait le caractère tragi-comique d'un film en forme de synthèse héroïque d'une trilogie ruant dans les brancards du débat sociétal. En puisant dans la pâte grumeleuse d'une société fortement soumise aux rites du judaïsme il y trouverait de quoi ériger une grande figure féminine, tragique et exemplaire. La consécration de Viviane en héroïne tragique de notre temps valable universellement instituera aussi celle de Ronit Elkabetz comme tragédienne exemplaire, au risque que tout lui soit sacrifié en vertu même de ce principe de consécration.

 

 

 

 

Jour de colère, couru d'avance

 

 

 

 

L'évidence impose déjà de souligner le caractère systématique d'un geste de cinéma qui, en trois temps, reconduit un schéma directeur. Marquer la distinction d'une subjectivité féminine en résistance héroïque aux pressions exercées par sa communauté advient du dedans du nid familial (à chaque fois, le film de chambre ou d'intérieur vire au huis-clos), tout en se comprenant en rapport avec les battements sociaux et historiques du dehors (d'abord la fin des années 1970, puis la première guerre du Golfe, enfin l'époque contemporaine).

 

 

 

Le Procès de Viviane Amsalem cultive la logique de réclusion féminine dans une forme terminale telle qu'il échouerait aussi à faire exister le monde extérieur, tantôt évanoui dans les ellipses narratives vissant le récit (la succession des cartons temporels, « deux mois plus tard », « deux ans depuis le début de la procédure », etc.), tantôt réduit au seul défilé programmatique de figures archétypiques et caricaturales de la société israélienne convoquées à la barre et au titre de représentants de son surmoi religieux. C'est la différence des films précédents qui arrivaient à contrarier les obligations familiales et rituelles du dedans par les interruptions provenant du dehors (on pense à la séquence saisissante de Sept jours des sirènes retentissant pendant les tirs de scuds de l'armée irakienne sans déranger la cérémonie de deuil, le visage des pleureuses affublé de masques à gaz). L'ultime volet de la trilogie préfère sacrifier cette dialectique élémentaire en se concentrant sur l'affrontement théâtral des gestus antagonistes, gestus de l'épouse persévérant dans sa demande de divorce et celui de son mari (interprété dans les trois films par Simon Abkarian) s'obstinant à ne pas le lui accorder comme l'y autorise la loi religieuse. Alors défileront à la barre les proches des conjoints venus défendre respectivement leur cause, les femmes étant généralement identifiées à une subordination durement consentie (pour les plus âgées) ou rudement critiquée (par les plus jeunes), tandis que les hommes s'entêtent bêtement à vouloir quant à eux préserver l'unité fantasmatique d'un couple ayant fait réellement faillite depuis plusieurs années déjà.

 

 

 

La part la plus faible du Procès de Viviane Amsalem tient à distribuer les numéros d'acteurs en fonction d'un découpage pas toujours rigoureux dans ses prétentions formalistes. Ainsi, les points de vue subjectifs évitent soigneusement tout regard-caméra pendant que la salle d'attente, avec ses plans libres de toute focalisation subjective, est bizarrement exclue du dispositif. Le film étant par ailleurs assez bon dans les moments furtifs qui trahissent dans les marges du discours majoritairement masculin (l'avocat combatif de l'héroïne peut en effet lui aussi céder aux injonctions rappelant la légitimité masculine des orateurs) une insubordination féminine faite corps (un rire étouffé, des jambes décroisées, des cheveux dégrafés). Le film de Shlomi et Ronit Elkabetz l'est en revanche beaucoup moins quand il travaille patiemment à ce qu'éclate, sous la forme d'une performance actorale attendue, la saine colère cathartique d'une femme qui n'en veut plus seulement à l'homme qui lui refuse son indépendance puisqu'elle s'en prend désormais à l'entente tacite soudant les hommes entre eux dans le partage jouissif de leur domination. Le jour de colère était couru d'avance.

 

 

 

 

Antigone, point aveugle

 

 

 

 

Insistant toujours dans une esthétique fuyant les couleurs au bénéfice d'un minimalisme marmoréen tout en tonalités grises, blanches ou noires, Le Procès de Viviane Amsalem surinvestit le registre de la frontalité afin de surexposer le caractère théâtral d'un tribunal représenté comme une scène verrouillée par le pouvoir patriarcal où l'héroïne est contrainte à n'occuper que la place aménagée à l'endroit des personnes de son genre. Il aurait alors été approprié que Ronit et Shlomi Elkabetz travaillent à perturber l'ordre hiérarchique des places. Sauf que la perturbation justifie, comme on l'a compris, le traitement caricatural de la plupart des personnes dont le témoignage bénéficie, par défaut ou par excès, à renforcer la stature tragique de l'héroïne, servie par le tempérament de sa tragédienne. Ce qui du coup détermine l'impossibilité pour le spectateur de changer de place, son regard étant captif de la grille distribuant les points de vue disponibles pour ne rien saisir d'autre que la très légitime demande de divorce de Viviane se dédoublant en critique tout aussi légitime de l'aliénation patriarcale et religieuse. C'est alors que le dispositif conçu par Le Procès de Viviane Amsalem reconduit paradoxalement le dispositif judiciaire qu'il cherche à ébranler sur ses bases, calquant sa mise en scène sur la mise en scène cadenassée de l'ordre patriarcal lui-même.

 

 

 

Le découpage faussement rigoureux du Procès de Viviane Amsalem consiste en réalité à seulement asseoir le triomphe symbolique de son héroïne interprétée par la réalisatrice. Le contre-procès de l'ordre patriarcal paraît alors aussi joué d'avance que le procès de la femme condamnée à demeurer mariée pour avoir osé désirer son indépendance. La dépendance ou l'hétéronomie avérée du spectateur redouble en conséquence celle de l'héroïne qui, au moins, se bat pour une juste cause quand la critique à l'adresse du film, s'attachant à relativiser moins sa force de conviction que les moyens qu'il se donne pour la démontrer, semble vouée à souffrir d'un manque de légitimité aux yeux des amateurs de films-dossier verrouillés.

 

 

 

Le genre du film de procès a pourtant donné quelques chefs-d'œuvre de l'ambiguïté, de Anatomy of a Murder (1959) d'Otto Preminger à Minuit dans le jardin du bien et du mal (1998) de Clint Eastwood. L"ambiguïté est justement ce qui aura été ici absolument sacrifiée au nom d'une critique sans équivoque de l'arbitraire des rapports de pouvoir. Concernant enfin la question de la justice à proprement parler, on pourra également regretter que Ronit et Shlomi Elkabetz se suffise de la relativisation de la décision favorable à Viviane. En effet, son mari lui accorde le divorce tout en lui faisant promettre qu'elle ne connaîtra plus aucun homme après lui. Autrement dit, les réalisateurs sont aveugles à approfondir l'écart entre la légalité (qui serait masculine) et la légitimité (qui serait féminine) qui est la conséquence de la fondamentale hétérogénéité de la justice en regard du droit, et dont a parlé plus d'une fois Jacques Derrida. Un rappel qui aurait pu introduire alors la possibilité d'une radicalité d'une héroïne tragique dont ses auteurs se seront in fine refusés à ce qu'elle ressemble à Antigone.

 

 

 

 

 La bouréka, meilleure que la tragédie

 

 

 

 

Toutes ces réserves ne doivent toutefois pas participer à mésestimer la part la plus vivante et pertinente du Procès de Viviane Amsalem. Elle réside peut-être moins sur son versant tragique que sur celui d'un comique qui trouverait son origine dans la communauté à laquelle appartiennent les protagonistes. Paradoxalement, le rire constitue à la limite ce qui participerait à sauver du figement caricatural les témoins défilant à la barre. Ces figures représentatives d'une communauté mizrahim ont des manières excessives ou pittoresques que l'on pourrait interroger à l'aune d'une certaine histoire du cinéma israélien, en particulier les films ayant forgé culturellement la représentation de cette communauté-là. Du nom d'une pâtisserie à base de pâte feuilletée, le genre typiquement israélien des comédies dites bourékas a en effet alimenté les salles de cinéma en films populaires et bourratifs mettant en scène, surtout pendant les années 1960 et 1970, des juifs mizrahim originaires d'Afrique du nord. C'est, exemplairement, Salha Shabati tourné en 1964 par Ephaïm Kishon ; ce sont aussi les films de Moshe Mizrahi et Nissim Dayan, de Menahem Golan et Alfred Steinhardt.

 

 

 

Inspirés par l'histoire de leur famille originaire du Maroc, en particulier par celle de leur mère qui a tenu à l'instar de Viviane un salon de coiffure, Ronit et Shlomi Elkabetz semblent s'être appropriés, dans une manière formaliste et auteuriste, les types caractéristiques d'un genre cinématographique culturellement dominé. Un genre certes populaire, mais dont la popularité s'appuie aussi sur l'ambivalence d'un regard cinématographique qui hésite entre la tendresse satirique et l'ironie sarcastique à l'endroit d'une communauté mizrahim, mosaïque socialement dominée par celle formée en Israël par les ashkénazes, juifs pour leur part issus d'Europe de l'est.

 

 

 

« L'immigration russe nous a tués » lâche ainsi avec une véhémence symptomatique la sœur de Viviane devant le tribunal formé par un triumvirat de juges ashkénazes. Leur chef n'hésite d'ailleurs pas à appuyer là où ça fait mal en prononçant incorrectement le nom (Aboukassis) de l'un des témoins mizrahim. Comme si Le Procès de Viviane Amsalem incluait, avec sa dialectique du procès et de son contre-procès, la lutte entre deux communautés. Les juges ashkénazes considèrent en effet de haut les témoins mizrahim douloureusement clivés entre l'affirmation caricaturale d'une identité communautaire dominée et le renversement de son exacerbation participant d'une stigmatisation dont ils sont en Israël les sujets ordinaires.

 

 

 

La perspective caricaturale est alors la conséquence, double, d'une volonté communautaire surexposée et de sa déconsidération péjorative par les représentants de la communauté d'en face occupant la position supérieure du juge. Le procès instruisant la double captivité des femmes par les hommes, comme de la société civile par les autorités religieuses, deviendrait triple en incluant dans une perspective communautariste le procès des mizrahim par les ashkénazes. Le film de Ronit et Shlomi Elkabetz retrouverait alors un peu d'ambivalence en demandant si le rire que les témoins provoquent franchement ne résulterait pas du rapport contradictoire entre le petit théâtre d'une communauté socialement dominée et le théâtre plus grand incluant le précédent et appartenant à la communauté dominante. La caricature ressortirait alors autant des dominés enfermés dans leur identité que du regard méprisant des individus qui, en les jugeant, les regardent de haut en les méprisant.

 

 

 

Comment en effet ne pas s'étrangler de rire, d'un rire tragique, quand celui-ci résulte d'un terrifiant enchâssement de rapports de pouvoir structurant la vie quotidienne en Israël, de la religion sur la société civile, des hommes sur les femmes, des ashkénazes sur les mizrahim ? Le grotesque serait alors comme une façon de prendre une distance vitale à l'égard d'un sérieux ridiculisé – comme une forme de politesse du désespoir. Le rire comme refus instinctif de céder au sérieux d'un pouvoir révélé dans l'absurdité de son arbitraire est une manière de transgression pouvant s'accorder avec les fragments érotiques, jambes et cheveux, gênant la règle masculine de la pudeur. Jusqu'à ce sommet tragi-comique consistant dans l'étonnante remarque faite par le mari à propos du sentiment potentiel de l'avocat à l'égard de sa cliente qui constituerait forcément la preuve de l'illégitimité de la demande de divorce de son épouse.

 

 

 

Une ultime transgression concerne enfin le changement intempestif dans les registres linguistiques auquel se livrent les personnages mizrahim. Face à eux, les juges ashkénazes se font traduire leurs propos en marquant symptomatiquement une insistance à parler l'hébreu réglant officiellement la tenue des échanges dans l'enceinte du tribunal religieux. Le « code-switching » ou le « code-mixing » (pour reprendre les catégories du sociolinguiste William Labov) expliquent pourquoi les dominés multiplient ainsi les sauts ou écarts linguistiques. C'est qu'ils ne respectent pas la politesse requise en respect du statut honorable des juges, en allant même jusqu'aux obscénités lancées par Viviane contre ces derniers. Tantôt parce qu'ils utilisent au beau milieu de l'hébreu de gros morceaux d'arabe, tantôt parce qu'ils se permettent des apartés en français. Ces remarques constituent l'un des éléments de cohérence parmi les plus affirmés de la trilogie réalisée par Ronit et son frère Shlomi Elkabetz.

 

 

 

 

Le dernier procès, celui de l'arabité

 

 

 

 

De Prendre femme au Procès de Viviane Amsalem en passant par Les Sept jours, la question est celle de la langue, de plus d'une langue. Il y a la langue (arabe) des grands-parents originaires d'une Afrique du nord encore marquée par la présence coloniale française et il y a la langue (française) parlée par leurs enfants dans l'éloignement du pays d'origine (et le départ après la décolonisation des pieds-noirs d'Algérie, du Maroc et de Tunisie). Une histoire longue qui se dépose dans la sédimentation linguistique des générations est aussi celle de la caractérisation d'une identité communautaire cherchant à occuper une place spécifique en Israël. Et tout cela en bataillant contre la domination sociale et symbolique des ashkénazes qui repose sur l'imposition de l'hébreu dont le corrélat est la relégation mémorielle du yiddish.

 

 

 

Si, du point de vue du triumvirat jugeant la demande féminine, Viviane Amsalem est une sorcière qui mériterait presque de brûler, c'est parce qu'elle est une héroïne acharnée à recouvrer une indépendance captive d'une domination masculine protégée par l'ordre patriarcal et religieux. C'est parce qu'elle est aussi la membre d'une communauté ethnique socialement dominée qu'il faut rappeler à l'ordre de la hiérarchie communautaire s'appliquant en Israël. Et qui s'applique d'autant plus qu'elle travaille à expurger de la société toute trace d'arabité qui ferait signe vers son refoulé palestinien. Le dernier procès de Viviane Amsalem est aussi celui de sa langue, de sa culture, de l'héritage arabe dans le monde juif.

 

 

 

2 juillet 2014


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