« C'est tout simple : ''Le pire des mondes ne doit pas créer le désespoir.'' Il ne faut pas désespérer. C'est ce que le cinéma nous raconte, je crois. Et c'est pourquoi nous devons l'aimer » (Alain Badiou, Cinéma, Nova Éditions, 2010, p. 373)
La sapience, ce ne devrait pas rien signifier pour nous, enfants depuis Linné de Homo sapiens. La sapience n'est vraiment pas rien pour Eugène Green, elle constitue même l'objet d'une quête passionnée et ininterrompue depuis longtemps maintenant, bien avant la décision d'œuvrer dans la création cinématographique, à la fin des années 1970. Lorsque ce dernier, un jeune homme alors âgé de trente ans et émigré volontaire d'un pays (les États-Unis) et d'une cité (New York) qu'il nomme depuis, contre l'imposition impériale du globish, respectivement la « Barbarie » ainsi que la « Nouvelle York » se jeta dans l'aventure du théâtre baroque en montant une compagnie nommée justement le Théâtre de la Sapience. C'était en 1977, un ans après avoir acquis la nationalité française et neuf ans après s'être installé à Paris en conclusion provisoire d'un long voyage de formation qui lui permit de découvrir Munich, Prague et Rome. 1977, l'année où il apparut d'ailleurs comme figurant dans un film de Robert Bresson, Le Diable probablement. Après la publication d'un certain nombre de récits littéraires (La Rue des canettes en 2003, La Reconstruction en 2008, La Bataille de Roncevaux en 2009, Un conte du Graal en 2010, La Communauté universelle en 2011 et Les Atticistes en 2012) et d'essais consacrés à l'esprit baroque (La Parole baroque en 2001 et Le Présent de la parole en 2004) comme au cinéma (Présences. Essai sur la nature du cinéma en 2003 et Poétique du cinématographe. Notes en 2009), après la mise en scène de diverses pièces de théâtre (de Jean Racine ou Pierre Corneille) ou d'œuvres musicales ou littéraires supposées classiques (un opéra de Jean-Philippe Rameau, un sermon de Jacques-Bénigne Bossuet), après la réalisation de plusieurs films depuis la fin des années 1990 (quatre longs-métrages avec Toutes les nuits en 2001, Le Monde vivant en 2003, Le Pont des Arts en 2004, La Religieuse portugaise en 2009 et trois courts-métrages avec Le Nom du feu en 2002, Les Signes en 2006 et Correspondances en 2007), se présente à nous La Sapienza, un nouveau long-métrage qui expose frontalement le sésame magique ou nom totémique au principe d'une trajectoire artistique (et précisément ici cinématographique) à nulle autre pareille. Pour comprendre de quoi il retourne, on pourrait en passer par le fil de la part la plus réflexive de la littérature d'Eugène Green, et par exemple extraire, une parmi d'autres, cette citation définitoire : « La sapience, [un] savoir qui mène à la sagesse »1.
On peut également s'en tenir à la paire de citations en exergue du film, son ouverture se soutenant d'une part d'une phrase issue du Livre de la sagesse (en grec La Sagesse de Salomon, peut-être le premier livre rédigé de l'Ancien Testament au 1er Siècle après Jésus-Christ qui exerça, en raison des thèmes de la souffrance du juste et, plus implicite, de la résurrection de la chair, une influence décisive sur Paul de Tarse et Jean lors de la rédaction de leurs évangiles respectifs), posant que la sapience, plus active même que toute action, reflète la lumière éternelle. Et elle se soutient d'autre part d'une sentence tirée du Pantagruel (1542) de François Rabelais, la seconde citation redéployant la puissance évocatrice de la première en ses termes : « (…) selon le saige Salomon, Sapience n'entre poinct en âme malivole, et science sans conscience n'est que ruine de l'âme ».
La question sapientiale, en vertu de laquelle le savoir ne s'autorise que de la sagesse qu'il vise et la sagesse du savoir dont elle se soutient, si elle n'aura jamais cessé d'être posée dans toutes les œuvres proposées par Eugène Green, s'expose désormais dans toute sa frontalité (on aimerait dire sa nudité comme on le dirait d'un visage) avec La Sapienza, un film que l'on ne saurait décemment réduire à un magnifique dépliant de luxe touristique consacré, entre le lac Majeur et Turin, Stresa et Rome, à suivre et apprécier la trajectoire artistique de l'architecte de style baroque Francesco Borromini (né Castelli en 1599 à Bissone dans le canton du Tessin en Suisse et décédé en 1667 à Rome), maître d'œuvre de l'église Sant'Ivo alla Sapienza à Rome (1642-1660) où se situe l'acmé du film. Certes, le risque de l'affectation précieuse menace en effet chaque plan d'être figé dans un jeu de fiches illustratives au service de la présentation muséale et nostalgique de pans d'une culture architecturale menacée d'obsolescence à l'époque d'un urbanisme fonctionnel configuré par les besoins du capital. Mais chaque plan relève aussi et heureusement d'une esthétique cinématographique suffisamment singulière et souveraine pour les protéger d'un tel arraisonnement instrumental. C'est qu'il n'y a pas un plan de La Sapienza pour ne pas témoigner d'une vision soucieuse de mettre en relief la permanence de l'inactuelle question sapientiale avec les lignes tracées et entrecroisées par le scénario depuis les positions respectivement occupées par ses quatre personnages principaux et ces autres lignes établies à l'intersection de principes forts en termes de cadrage, de découpage et de montage. C'est qu'il n'y a pas un raccord pour ne pas permettre de donner ici la possibilité au spectateur de comprendre en son for intérieur la nécessité esthétique de l'héritage de l'esprit borrominien et, dans le même mouvement, sentir que le film le prédispose à accueillir un peu de cette lumière et de cette présence en conséquence d'un savoir exposé qui mène à une sagesse partagée : la sapience, « au-delà de la science et de la beauté » comme il est encore dit ici. A cet égard, La Sapienza est, sinon le film doté du caractère le plus auto-réflexif de l'œuvre cinématographique d'Eugène Green, du moins le plus préoccupé de témoigner le plus intimement de ce que son auteur désire toujours chercher et, le cherchant, le trouverait à chaque instant.
Baroquisme rationnel
versus baroquisme mystique
« Opposé au symbole, qui jouera un rôle déterminant dans plusieurs tendances de l'expression artistique de la fin du XIXe siècle, et qui est toujours la manifestation d'une volonté intellectuelle et d'un discours rationnel, le signe est simplement une présence visible, naturelle, qui devient une épiphanie du mystère du monde » pose Eugène Green2 à partir d'une dichotomie (le symbole en guise d'une approche signifiante et rationalisante auquel s'oppose le signe comme expression ambivalente des puissances réelles du monde) qui trouverait, dans La Sapienza, à se retraduire dans l'opposition significative de deux styles architecturaux identifiés à l'affrontement des artistes rivaux, le napolitain Gian Lorenzo Bernini dit Le Bernin (1598-1680), le « baroque rationnel », et donc le tessinois Francesco Borromini, le « baroque mystique ». La douleur existentielle de l'architecte Alexandre Schmidt (Fabrizio Rongione, acteur fidèle des frères Luc et Jean-Pierre Dardenne trouvant ici, et dans une toute autre configuration cinématographique, un rôle à la mesure de son extrême sensibilité) consistant à ce qu'il admette, à regret, face à un jeune élève en architecture prénommé Goffredo (Ludovico Succio), que s'il a secrètement caressé le rêve d'être le nouveau Borromini de notre temps, il n'en aura été, tristement, que son Bernin. « Le Bernin, avoue-t-il, c'est moi » devant les ornementations de l'église Saint-Laurent de Turin conçues par Camillo-Guarino Guarini (1624-1683), un architecte qui aura participé à rationaliser dans un esprit plutôt français les principes d'ouverture défendus par son maître Borromini. Le « baroque rationnel » serait celui qui, exemplifié par Le Bernin (et Guarini dans la trahison de Borromini), privilégierait le plan ovale afin de soumettre la lumière naturelle ou divine à l'emprise théâtrale et rayonnante de la forme architecturale au service du prestige des maîtres de Rome. Le « baroque mystique » serait alors celui qui, à l'inverse, préférerait le plan elliptique en vertu d'une ouverture des formes aux puissances extérieures d'une lumière qui, dès lors, ne saurait seulement se réduire à la glorification des mandataires papaux pour accueillir au contraire les traces passagères des ondoiements d'une présence infiniment plus grande que l'architecture elle-même. On aura compris, en regard des rivalités de Borromini et du Bernin savamment décrites par Alexandre à destination du jeune Goffredo (il suffirait par exemple de comparer les escaliers respectivement réalisés par l'un et l'autre des deux architectes pour le Palazzo Barberini de Rome), par quel chemin se trouverait alors la sapience, exemplifiée avec la présentation de l'église Saint-Charles-des-Quatre-Fontaines de Rome, première et dernière réalisation de l'artiste puisqu'il en a commencé la construction en 1638 et en a terminé la façade l'année de sa mort en 1667. Le savoir (architectural) n'étant ici que la condition d'une sagesse qu'il rend certes possible mais dont la finalité consiste moins en la maîtrise des formes (car le dehors des forces naturelles ou divines reste en ce cas confiné et prisonnier dans le dedans de la raison architecturale) qu'en la célébration du monde vivant dans la présence de ses signes (puisque le dedans ne vaut ici que comme réceptacle disposé à ce que le génie architectural puisse rendre grâce aux puissances du dehors).
Comment en conséquence ne pas reconnaître, par le biais de vieilles rivalités artistiques racontées au présent d'une fiction mettant en regard, face à face, le désœuvrement conjugal et professionnel des aînés (Alexandre et sa compagne Aliénor incarnée par Christelle Prot Landman, actrice de quasiment tous les films du cinéaste) avec la jeunesse riche en promesses et en possibles offerte par leurs cadets (Goffredo et sa sœur Lavinia interprétée par Arianna Nastro) ? La singularité du geste cinématographique d'Eugène Green consiste justement à mettre en forme et en lumière cette mise en regard, d'un côté par la maîtrise dans la composition géométrique des cadres et des figures qui s'y trouvent disposées, de l'autre par un goût pour leur intensité expressive se redéployant de signe en signe directement issus du réel. Si Eugène Green insiste souvent, après Robert Bresson et Manoel de Oliveira, sur le filmage des pieds de ses personnages et des marches qu'ils gravissent autant qu'ils accomplissent, c'est précisément en raison d'un désir ajointant l'étrange chemin, échappant à tout calcul volontaire, entrepris par des êtres qui découvrent une nouvelle manière de se rapporter au monde dans lequel ils vivent et un principe d'orientation esthétique, celui d'avancer, sans hiérarchie aucune, sur les deux pieds d'un accord subjectif entre le sensible (la beauté) et l'intelligible (la science) tels que les articule, dans une réappropriation valant comme un dépassement de l'esthétique kantienne, Friedrich von Schiller dans ses Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (1795). A la raison, « l'instinct de la forme », à la sensibilité « l'instinct de la matière », et, entre les deux, dans un entre-deux qui vise leur au-delà, « l'instinct de jeu » qui les agence en les faisant jouer dans l'harmonisation morale des tendances instinctuelles et rationnelles caractéristiques du genre humain. « Si c'est la raison qui fait l'homme, c'est le sentiment qui le conduit » disait Jean-Jacques Rousseau cité par Schiller en exergue de la première de ses Lettres3. C'est bien pourquoi, dans La Sapienza, un panoramique dévoilant dans une inspiration picturale évidente (entre Giovanni Antonio Canal dit Canaletto et le contemporain Célestin Messagio) la beauté vivante du lac Majeur ne tiendrait presque que par le passage, en exception souveraine à tout décret cinématographique d'un bateau, d'un oiseau ou d'un papillon, la pente de la symbolisation culturelle étant dès lors comme tenue en respect par la mobilité intempestive et imprévisible des formes de vie.
Les jeux (de lumière)
du sensible et de l'intelligible
« Instinct sensible » d'un côté, « instinct formel » de l'autre, et, en guise d'une articulation ludique entre les deux, cet « instinct de jeu » qui autorise d'avancer en marchant sur ses deux pieds, la raison et la sensibilité ou la science et la beauté : La Sapienza reposerait intégralement sur une pareille dynamique esthétique, en raison précise d'une sapience qui ne fait jouer le savoir qu'en raison de la sagesse qu'il permet sans s'y confondre. Le savoir, dissocié de toute sensibilité au principe de la sagesse inscrivant (pour les plus jeunes pas encore brisés par le pouvoir normatif des appareillages sociaux) ou réinscrivant (pour leurs aînés fatigués de devoir continuellement composer avec eux) les êtres dans le monde qu'ils habitent, s'expose d'emblée dans le film d'Eugène Green sous la forme de séquences montrant Alexandre et Aliénor en situations professionnelles respectives. Il faut dire ou redire à quel point, à l'opposé du cliché associant fallacieusement ses films à un esprit de sérieux censément requis pour l'appréciation des choses supérieurement culturelles et intellectuelles, le cinéaste se double d'un implacable ironiste doué pour la farce, égratignant hier les figures grotesques de tyrans œuvrant dans l'apprentissage d'un monde qu'il connaît bien (celui de la musique baroque et du chant en particulier dans Le Pont des Arts), éreintant aujourd'hui les figures grisâtres de la raison d'État technocratique (et, plus tard, les vaines mondanités des résidents de la Villa Médicis) pour lesquelles le jargon le plus abscons vient parachever sur les versants complémentaires de l'urbanisme pour Alexandre et de la psychologie sociale pour Aliénor l'incompréhension étatique des besoins humains (qui sont autant matériels que spirituels, inséparablement). Il y a même une grande hypocrisie à voir comment Alexandre, récipiendaire d'un prix prestigieux pour le projet architectural qu'il vient d'imaginer, se voit dans l'obligation de « revoir sa copie » en face de commanditaires qui n'ont à la bouche que les maîtres mots (rapport qualité/prix et réduction des coûts) de la novlangue néolibérale. C'est d'ailleurs à l'occasion du discours de réception de son prix qu'Alexandre confesse le désœuvrement qui sourdement creuse comme une taupe des galeries à l'intérieur de la conscience de qui aura perdu foi en la rationalité comme principe garantissant le bonheur universel, tandis que le refus du cinéaste d'en représenter l'aveu en privilégiant des plans fixes ou mobiles sur les formes urbaines caractéristiques de la région francilienne fait de la parole de son personnage, pour le moment encore invisible, un mixte étrange de voix in et de voix off 4. Dans l'intervalle compliqué entre la voix off ouvrant « sur la tentation du méta-langage et du discours protégé » et la voix in qui, sans sortir de la bouche, « intervient dans l'image, s'y immisce, s'y marque d'un impact matériel, d'un double visuel »5, se posent alors dans un mouvement récursif, d'un côté, le désarroi à la fois professionnel et existentiel d'une figure en attente de consistance (voire de régénérescence) et, de l'autre, les formes matérielles et dévitalisées d'un monde consacrant autant le triomphe de la volonté fonctionnaliste qu'Alexandre aura longtemps incarnée qu'une défaite civilisationnelle à laquelle, n'y échappant pas, il aura malgré lui contribué.
Plus tard, au restaurant ou bien à la maison, Aliénor et Alexandre auront beau occuper le même espace, celui-là ne sera jamais véritablement partagé, leurs regards se porteront respectivement ailleurs, leurs mouvements manifesteront une légère dissonance (des gestes asynchrones lors du repas au retard de l'un rejoignant l'autre vers la fenêtre ouverte sur un sommeil troublé), un espace vide ou inoccupé venant se loger au lieu même de ce qui devrait assurer le liant d'un rapport intersubjectif lorsque, face à face, les paroles banales tombent à plat ou les mots viennent tout simplement à manquer. Dans la nullité communicationnelle des échanges en milieux technocratiques comme dans l'évidement de la consistance amoureuse au principe d'une relation pleinement vécue et épanouie, ce qui ne cesse de croître, c'est le désert. Et il faudra en passer par un séjour à Stresa situé dans le Piémont sur le rive ouest du lac Majeur et surtout la rencontre contingente avec Lavinia et Goffredo pour que l'irruption de la contingence se transmue dans la nécessité du hasard et que l'impulsion du hasard s'affirme en détermination vécue à la puissance quatre d'une grâce destinale partagée. Pendant que Goffredo accompagne Alexandre qui accepte en bougonnant la présence de cet apprenti-architecte alors qu'il avait prévu d'aller avec Aliénor à Rome, cette dernière préfère pour sa part se « détacher de lui » (c'est le sens du verbe latin alienor) et rester en compagnie de Lavinia qui semble pour sa part souffrir d'un mal obscur6. Avec la nouvelle disposition des figures initiées par la fiction (le mari et sa compagne se séparent provisoirement tout autant que la sœur et son frère), des rapports nouveaux suppléent le temps de la narration aux liens conjugaux ou familiaux habituels. Des filiations symboliques (entre un homme mûr et un jeune homme à peine sorti de l'adolescence, entre une femme et une jeune fille) s'ébauchent et se nouent en un vis-a-vis à quatre bandes organisé par le montage du film. Des fantômes se révèlent en miroir depuis le soubassement obscur niché dans les interstices des relations (un père défunt pour les cadets, un enfant malade et décédé pour leurs aînés, un ami rival suicidé pour Alexandre). Et leur conjuration réciproque ne résulterait que de rapprochements accomplis depuis le paradoxe d'une mise à distance temporaire mais ressentie comme nécessaire. Trop proches (le frère et la sœur, cette dernière étant fragilisée par une proximité bordant la menace incestueuse) ou trop éloignés (la compagne et son mari éprouvant en raison de contraintes professionnelles une distension de leur relation amoureuse), les héros de La Sapienza expérimentent alors un réglage des distances au terme duquel l'apprentissage aura bel et bien été celle de la sapience – cette sagesse qui n'apparaît et n'appartient qu'à ceux qui désirent savoir pour autant qu'il faille s'en déprendre au moment où la vive lumière des signes éclaire telles des visitations gracieuses ou des épiphanies la nécessité vitale de la présence7.
Face à face ou dos à dos :
le spectateur comme tenant-lieu
« Quelle est la différence au cinéma entre le sensible et l'intelligible ? Il n'y en a pas, en réalité. L'intelligible au cinéma, ce n'est qu'une accentuation du sensible, une couleur ou une lumière du sensible. C'est aussi pour cela que le cinéma peut être un art du sacré, comme il est un art du miracle » affirme Alain Badiou8 qui insiste tant, par ailleurs, sur le caractère « soustractiviste » de son ontologie et de la compréhension qu'elle autorise de la puissance des arts au 20ème siècle9. C'est ainsi qu'il faudra apprécier les principes d'un geste cinématographique qui, d'une part, soustrait au régime de la représentation dominante les contraintes du jeu mimétique issu de la tradition romanesque et théâtrale réaliste voire naturaliste (les acteurs ne gesticulent pas et sont souvent filmés de profil ou frontalement, leur diction est neutre et précise, les phrases récitées le sont dans un rapport hérité de la déclamation baroque où la rythmique, l'accentuation, la prononciation et la liaison entre les consonnes muettes des mots et les voyelles de ceux qui les suivent dérogent à l'ordinaire des conventions langagières). Et qui, d'autre part, soustrait même à l'ordinaire figuratif des pans entiers du corps restitués sous la forme d'un montage allégorique de fragments (c'est, exemplaire, la magnifique séquence de la rêverie d'Alexandre concernant la mort de Borromini littéralement figurée, avec ses pieds, ses mains, ses bouts de mobilier et ses objets épars comme un blason médiéval). C'est que l'esthétique de la soustraction, dont Robert Bresson fut longtemps l'un des hérauts (avec, entre autres, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub), oblige à aménager au cœur de l'architecture générale du film les vides (à l'instar des verres fréquemment filmées par un cinéaste qui a par ailleurs souvent clamé son admiration pour Yasujiro Ozu) susceptibles d'être remplis et comblés par le regard du spectateur. C'est que cette esthétique repose aussi sur un plan elliptique invisible qui, semblable à celui qui détermine les créations architecturales de Borromini (et raccord avec les avancées scientifiques copernico-galiléennes), autorise d'accueillir au sein même de sa forme maîtrisée toutes les manifestations du dehors, du réel ponctuant le plan aux légers frémissements incontrôlés du visage des acteurs en passant par les raccords imaginaires électrisant la pensée du spectateur. Au-delà ou en-deçà de la ligne de flottaison de la représentation, la présence et, avec elle, la sapience. Il s'agirait même pour le film que son dispositif, aussi assuré soit-il, permette une mise à disposition favorable à la réception des signes, autant pour ceux qui auront fait les images que pour ceux qui après coup les regardent, tous disposés à recevoir et apprécier les circulations aléatoires de la vie et de la pensée qui en affronte la part impensée, dans la synthèse indiscernable et ludique du sensible et de l'intelligible10. C'est ainsi que les raccords à 180°, affirmant la frontalité des plans en contrevenant à la logique dominante des champs-contrechamps montés depuis un axe classique à 45°, obligent le spectateur à occuper non plus la position imaginaire de tiers extérieur à la relation mais désormais celle de la suture en garantie du caractère intersubjectif du face à face entre les personnages discutant. Le spectateur figure en regard de tels raccords « comme l'élément qui manque, sous l'espèce d'un tenant-lieu »11. Mieux, il occupe la position d'un tenant-lieu pour autant qu'il est directement impliqué dans la conscience du manque qu'il représente et, partant, doit soutenir et assumer. Cette implication compliquant la position habituelle du spectateur assure à ce dernier de jouer le rôle de médiateurs fantomatiques depuis des relations intersubjectives fondamentalement marquées par un vide (Aliénor et Alexandre ne se parlent presque plus, la première faisant la connaissance d'une inconnue pour elle et réciproquement, Lavinia, et le second de Goffredo), tout en assumant le caractère imaginaire mais constitutif de regards-caméra s'adressant aussi à lui-même. On notera ici, en passant, la différence essentielle entre le regard-caméra du présentateur d'émissions télévisuelles qui regarde la caméra en faisant sembler de s'adresser à un public compact (l'audience) et celui d'un personnage d'un film d'Eugène Green (plus que Yasujiro Ozu, ses personnages fixant toujours un point légèrement à côté de l'axe de filmage frontal de la caméra) qui s'adresse dans le même mouvement à un autre personnage depuis la structure symbolique de la fiction en même temps qu'au spectateur et à lui seul depuis la place imaginaire aménagée par le dispositif cinématographique.
Surtout, les visages ne possèdent jamais à la télévision une telle intensité (on aimerait la qualifier ici de lévinassienne tant elle implique la question d'une proximité originaire12), excédant le rôle joué pour exposer la présence vraie des êtres filmés depuis leur face (en grec prosôpon d'où dérive la prosopopée qui, par exemple ici, qualifierait les architectures racontées par Alexandre) et articuler cette exposition avec celle des êtres qui les regardent sur un écran de cinéma. Enfin, les plans acquièrent une duplicité qui, comme le filmage de profil complique celui de face, en magnifient la complexité. Autant, en effet, les plans en s'inscrivant frontalement dans l'écartement des raccords manifestent un éloignement et une solitude vécus depuis des espaces rigoureusement séparés (et cet écart passe directement dans le chas du regard du spectateur), autant les plans semblent se retourner sur eux-mêmes comme des cartes à jouer (d'où la frontalité filmique) afin d'attester une collure des êtres mais dos à dos (et ce retournement contrarie le désir du spectateur voulant jouer le rôle de suture imaginaire en regard d'existences solitaires). Face à face, les personnages paraissent donc éloignés ; dos à dos (à l'image des statues bifrons comme celles de Janus avec lesquelles s'ouvre significativement La Sapienza), leur rapprochement ne se conçoit que depuis des regards se portant réalité en des directions diamétralement opposées. Cette duplicité des plans et de la place que leurs raccords accordent au spectateur se retraduirait ailleurs, du côté du son, dans les paradoxes d'une parlure dont la singularité repose, comme on l'a dit, sur un principe de liaison auquel le spectateur ne cesse dans les échanges langagiers caractérisant sa vie quotidienne de se soustraire. « Je pense dit Alain Badiou que c'est peut-être le point le plus important : le cinéma est un art dans lequel ce qui se passe est à la fois continu et discontinu (…) Ou, si vous voulez, le cinéma est une promesse, une promesse qui n'a peut-être pas d'équivalent : on peut vivre dans la discontinuité »13. Eugène Green le dirait autrement, en prenant appui sur un principe cher, celui de « l'oxymore baroque », acceptant « de vivre simultanément deux vérités que la raison tiendra pour contradictoires, et de les résoudre dans l'ambivalence de la parole »14. La composition de la face ou du profil et du dos, du sensible et de l'intelligible, de la maîtrise et de ce qui la dépasse se prolongent ainsi dans les rapports esthétiques de continuité et de discontinuité savamment mis au point par le cinéaste, dans son cinéma en général comme dans La Sapienza en particulier. Et c'est ainsi que ces rapports entretiennent plus d'un écho, établissant ainsi la qualité auto-réflexive du film, avec la trajectoire artistique de Borromini revue par Alexandre afin de corriger, dans le miroir offert par le regard de Goffredo, sa propre trajectoire professionnelle, appauvrie dans les conséquences désastreuses et dystopiques de l'utopie fonctionnaliste, et régénérée dans la (re)découverte d'une histoire architecturale moins disposée à capturer qu'à recevoir et accentuer la présence lumineuse du dehors.
La relève de la sapience
La Sapienza, dans la restitution rédemptrice (plutôt que la restauration nostalgique) des puissances de la sapience, raconte ainsi l'entrecroisement de plusieurs miracles : celui d'un homme fatigué qui renoue avec la joie de son art en présence d'un jeune disciple qui se formant à ses côtés permet à son maître, littéralement, de se reformer auprès d'une sagesse oubliée ; celui d'une femme qui retrouve goût à la vie et l'amour avec son conjoint en dépit de la disparition de leur enfant ; celui d'une sœur qui gagne dans l'épreuve de l'absence de son frère la mise à distance d'un spectre paternel trop insistant ; celui d'un frère qui aura bénéficié d'un apprentissage inattendu aux formes architecturales qui, infiniment meilleur que toutes les pédagogies scolaires, les salons mondains et les enseignements académiques, saura sûrement le protéger des ogres de la raison technocratique (il y en avait déjà un, d'ogre, dans le château de conte pour enfants du Monde vivant inspiré par le roman de chevalerie Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes en 1176). C'est bien la qualité d'un cinéaste comme Eugène Green que d'organiser, dans la disposition maîtrisée de ses figures et des rencontres qu'elle favorise (des deux amis de Toutes les nuits à l'art lyrique d'une chanteuse suicidée qui sauve la vie du jeune homme qui en écoute un enregistrement dans Le Pont des Arts15)), des phénomènes aléatoires de circulation poétique des signes au principe d'une désaturation valant comme aération lumineuse du monde vivant. Certes, ces miracles redéploient la nécessité des modes de transmission (un savoir architectural partagé du côté masculin et sur le versant féminin des langues – l'italien et le français – échangées), depuis la rupture décisive d'héritages malheureux (de la hantise des morts pesant sur les vivants à la bêtise stérilisante des formes mondaines et technocratiques). Avec en arrière-plan la réactualisation du motif romantique du voyage de formation exemplifié par les voyages en Italie de Stendhal comme Rome, Naples et Florence en 1817 puis 1826 16.
C'est d'ailleurs ici tout le côté Bildungsroman ou « roman d'apprentissage » de La Sapienza (sauf qu'il fait jouer la carte de la formation sur le mode de la
réciprocité, de l'adolescent en compagnie de l'adulte et de l'adulte avec l'aide involontaire de l'adolescent) qui, aussi, renouerait dans la foulée avec le motif du miracle de l'amour retrouvé revenant de Il Viaggio in Italia
– Voyage en Italie (1954), un titre dont son auteur, Roberto Rossellini, n'ignorait rien de son
caractère stendhalien (et déjà goethéen, l'auteur de Faust ayant raconté son Voyage en
Italie en 1816). Comme s'il était possible de relier la lettre de recommandation sapientiale écrite par Gargantua à l'adresse de son fils Pantagruel avec la leçon du maître ignorant
proposée par Joseph Jacotot et conceptualisée par Jacques Rancière.
Surtout, le plus important, le plus beau, le plus grand miracle offert par le film d'Eugène Green relève d'une grâce plus purement cinématographique, lorsqu'au terme d'un zoom en contre-plongée verticale en direction de la voûte de ce chef-d'œuvre qu'est la chapelle de l'église Sant'Ivo alla Sapienza, la lumière au diapason du mouvement optique vient en réchauffer le dôme doré. Un zoom exceptionnel dans l'œuvre et qui l'est tout autant que l'incrustation numérique d'une statue de colombe qui n'a pas été restaurée faute d'argent. Mais c'est aussi, peut-être plus hallucinant encore, l'effet de vertige optique produit par ce magnifique panoramique circulaire qui précède le zoom. Tourné en contre-plongée dans le sens des aiguilles d'une montre à l'intérieur de la même église, ce panoramique proprement révolutionnaire soutient exemplairement la puissance esthétique du plan elliptique propre au geste architectural borrominien, la sensation du mouvement perdurant dans le plan suivant, en dépit de sa fixité et en raison d'un « effet bêta » longtemps identifié à son faux jumeau, l'« effet phi »17. Cette circularité persistante est ce qui, dans la relance des plans bifrons se retournant pour que le face à face se comprenne aussi comme un dos à dos et dans la circulation des signes et des affects en décollement de la présence face à la fermeture mimétique du régime représentatif, depuis la liaison non conventionnelle des paroles en héritage de la déclamation baroque jusqu'à la suture des plans au principe d'une implication compliquant la place habituelle du spectateur, ferait se renverser les hiérarchies dichotomiques du rationalisme et du mysticisme, de l'instinct sensible et de l'instinct intelligible, de la science et de la beauté, du savoir et de la saveur. C'est bien cela la sapience, un savoir qui redonne de la saveur à l'existence, une sagesse qui a de la « sapidité » (un terme sur lequel insiste beaucoup la perspective pharmacologique défendue par Bernard Stiegler18) en vérification de l'oxymore baroque comme de la morale esthétique schillerienne. « Le cinéma, c'est le miracle du visible comme miracle permanent, et comme rupture permanente » écrit Alain Badiou19.
Ce miracle appartient avec son cinquième long-métrage à Eugène Green qui, à l'heure où nous apprenons la disparition de Manoel de Oliveira, saurait avérer la persistance de son héritage cinématographique20 et qui – preuve encore de son sens comique – apparaît la nuit à Aliénor sous la forme d'un clochard céleste aux moustaches dignes du chat du Cheshire de Lewis Carroll. Ultime Chaldéen de fiction issu d'un peuple sémitique disparu et transfuge d'un pays (l'Irak) détruit par 1300 ans de guerre (dont les deux dernières sont d'ailleurs l'œuvre de la « Barbarie »), il figurerait le dernier détenteur d'une religion (chrétienne) et d'une langue menacée d'extinction (l'araméen qui fut parlé par Jésus), habitant d'une solitude qui l'autorise malgré tout à lancer à celle qui aura réussi à le voir dans la nuit un vigoureux appel à rester en vie. Cette présence humaine et cachée, menacée mais obstinée, joyeuse et persévérante, ressemble finalement beaucoup à cet étonnant portrait qu'Eugène Green a donné du cinéaste. Autrement dit de lui-même, et cela dans toute sa dimension sapientiale : « Le véritable cinéma, le cinématographe, est une résurgence absolue, terrible, du rituel qui est le fondement du théâtre : la victime sacrifiée, c'est le cinéaste lui-même, qui, renonçant à être un homme rationnel moderne, – le seul modèle qui, dans notre société, a le droit de vivre sans entraves, – et donnant à voir à ses semblables la Nature entière, où le visible fait voir les présences cachées, devient l'homme noble qui, ayant obtenu un royaume dans un pays lointain, et étant revenu pour en témoigner, donne à ses frères le pain de la vie, et disparaît dans la joie éternelle du présent »21.
Notes :
1) in Présences. Essais sur le cinéma, éd. Desclée de Brouwer/Cahiers du cinéma, 2003, p. 213.
2) opus cité, p. 100.
3) in Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, éd. Aubier-coll. « Domaine allemand bilingue », 1992 [1943 pour la première édition], p. 79.
4) Pour reprendre la distinction proposée par Serge Daney dans « L'orgue et l'aspirateur (Bresson, le Diable, la voix off et quelques autres) » in Cahiers du cinéma, n°279-280, août-septembre 1979 (repris dans La Rampe. Cahier critique 1970-1982, éd. Cahiers du cinéma/Gallimard, 1996 [1983 pour la première édition], p. 162-176).
5) Serge Daney, op. cit., pp. 172-173.
6) Cette « maladie de langueur » comme on la qualifie dans le film, en écho explicite au personnage d'Emma Bovary
(Toutes les nuits proposait l'adaptation de la première version de L'Éducation sentimentale de
Gustave Flaubert écrite entre 1843 et 1845), pourrait s'envisager à l'aune des réflexions développées par Giorgio Agamben. Celles-ci concernent entre autres l'acédie médiévale et
l'éros mélancolique de la Renaissance, la mélancolie pensée au carrefour de l'amour (dans sa dimension fantasmatique) et de l'art (comme
accomplissement de l'amour dans la parole poétique) autorisant alors de renverser un manque (l'objet fantasmé comme perdu) en excès (cette perte s'inscrit dans le réel) : cf.
Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, éd. Rivages poche-coll. « Petite bibliothèque », 1998 [1977 pour l'édition originale]).
Alexandre raconte par ailleurs que Borromini fut victime en vieillissant de crises profondes de mélancolie. On pense enfin à la manière dont Aliénor fait lien entre une représentation à la
façon baroque du Malade imaginaire (1673), ultime pièce de Molière, et la psychanalyse, ce rapport étant raconté comme un retour anamnestique digne de
Platon.
7) Parmi tant d'autres signes entrant en constellation, on mettra en vis-à-vis la mention de la sapience dans un fragment encore incomplètement déchiffré d'une
inscription étrusque rapportée lors d'un dîner mondain sans autre intérêt sinon que d'en caractériser sa vanité même et l'évocation, via l'importance
du motif de la révélation photographique retournant le négatif en positif, du Saint-Suaire de Turin dont un plan expose la reproduction photographique. On se souvient alors que le
Saint-Suaire illustre l'article fondamental « Ontologie de l'image photographique » (1945) d'André Bazin en soutien à l'idée que la « révélation du réel » autorisée par la photographie « emporte notre croyance » (cf. Qu'est-ce que le cinéma ?, éd. du Cerf-coll. « 7ème Art », 1999 [1958 pour l'édition originale], pp. 14-16). La présence restant, ici comme là, tributaire d'une phénoménologie de l'empreinte
dont l'esthétique compose avec l'absence de ce qu'elle désigne tout en rendant manifeste l'absence de la présence (le fantôme) et, réciproquement, la présence de l'absence (la trace). Trace
(le suaire) de trace (sa reproduction photographique) de trace (sa re-reproduction cinématograhique) : une trace au cube comme la réitération marquée et remarquée d'une altérité ou d'une
extériorité originaire (ainsi que le dit Jacques Derrida dans De la grammatologie, éd. Minuit, 1967).
8) in Cinéma, Nova Éditions, 2010, p. 342.
9) Par exemple, lire « La méthode de Mallarmé : soustraction et isolement » et « Conférence sur la soustraction » (in Conditions, éd. Seuil-coll. « L'ordre philosophique », 1992, pp. 108-129 et 179-195).
10) On aura été réceptif, entre autres, à celui-là, dans toute sa tension et toute son ambivalence : Goffredo aime s'endormir à la lumière d'une bougie, quand Borromini aura, dans le rêve qu'en fait Alexandre (qui prête sa voix à celle de l'architecte), bataillé la nuit même de sa mort contre son gardien (dont la voix est celle de Goffredo) pour disposer d'une lampe lui permettant de noter ses nouvelles idées. Ces flammes discrètes, désirées ici et empêchées ailleurs, transmises peut-être sans le savoir, éclairent bon nombre de plans des films d'Eugène Green : « Tout rêveur de flamme est un poète en puissance. Toute rêverie devant la flamme est une rêverie qui admire » (Gaston Bachelard, La Flamme d'une chandelle, éd. PUF-coll. « Quadrige », n°52, 1984 [1961 pour la première édition], p. 4).
11) Jacques-Alain Miller cité par Jean-Louis Comolli et Vincent Sorrel, « Suture » in Cinéma, mode d'emploi, éd. Verdier, 2015, p. 391.
12) Le visage, dans la relation sans pouvoir qu'il impose comme dans son caractère d'interpellation originaire, possède une dimension à la fois transcendante et éthique qui détermine Emmanuel Levinas à parler à son sujet d'épiphanie : cf. Totalité et infini (essai sur l'extériorité), éd. Le Livre de poche, 1971, p. 218.
13) in Cinéma, op. cit., p. 353.
14) in Présences, op. cit., p. 106.
15) Il s'agissait dans ce film du bouleversant Lamento della Ninfa (1632) de Claudio Monteverdi ressaisi dans la perspective poétique de l'oxymore baroque, produit à forte valeur distinctive d'une culture grande-bourgeoise, tyrannique et mortifère au départ et à l'arrivée œuvre de l'esprit rattrapant au bord de la mort un jeune étudiant en philosophie au désœuvrement suicidaire et eustachien. Claudio Monteverdi revient dans La Sapienza sous la forme de psaumes issus des Vêpres de la Bienheureuse Vierge Marie (1610) où le recueillement religieux et la puissance monumentale entrent dans une série de compositions architecturales ouvrant la Renaissance musicale à l'ère baroque.
16) Cf. Voyages en Italie, éd. NRF/Bibliothèque de la Pléiade, n°249, 1973.
18) Cf. Pharmacologie du Front national, éd. Flammarion-coll. « Bibliothèque des savoirs », 2013.
19) in Cinéma, op. cit., p. 353.
20) Sous la forme de cette esthétique « soustractiviste » éminemment partagée par Manoel de Oliveira et Eugène Green (Valérie Loiseleux, monteuse de La Sapienza, a monté de nombreux films du cinéaste portugais), ce dernier ayant réalisé La Religieuse portugaise en imprégnation du premier, de la présence de l'actrice Leonor Baldaque à la référence aux Lettres portugaises (1669), ce roman épistolaire de Gabriel de Guilleragues longtemps attribué à une religieuse franciscaine du 17ème siècle, Mariana Alcoforado, qui est évoquée en filigrane de l'adaptation de La Princesse de Clèves (1678) de Madame de La Fayette proposée par La Lettre (1999).
21) in Présences, op. cit., p. 253-254.
Une première version de ce texte a été publié par la revue Mondes du cinéma, n°7.