Après Un monde, Un peuple, Un autre monde : y a d'l'un, c'est certain, mais où est l'autre sans quoi l'un n'est rien ? De quoi l'emploi de l'article indéfini est-il donc le symptôme dans ces trois films ? Les dossiers lourds (après le harcèlement scolaire, les Gilets Jaunes et la détresse des managers) ont droit aux films, très conscients d'eux-mêmes et super-chiadés, dont la finition a cependant pour corrélat problématique l'imprécision des constats et l'indéfinition des prises de position.
Dans Clermont-Ferrand terrorisé par l'islamisme, le volcan éteint a la vapoteuse pour contrepoint. On s'en réjouit mais Viens je t'emmène n'emmènera franchement pas plus loin. Le film vapote, c'est tout ce qu'il peut faire de mieux. Le problème avec les clichés, c'est que leur mise en circulation a des girations débouchant sur des surplaces gênants plutôt que sur de grands tournants. Comme le réel de Lacan, le cliché revient toujours à sa place, très exactement.
Artavazd Pelechian est l'un des derniers gardiens vivants d'une certaine conception du cinéma, d'une part qui relève moins du tournage que du montage, d'autre part qui s'appuie sur un matériau souvent préexistant afin d'en tirer des raccords défiant l'espace et le temps. Le cinéaste est un poète lyrique qui a progressivement ouvert son cinéma à la part du négatif que l'humanité retourne compulsivement contre elle-même quand elle l'expérimente toujours déjà sur son environnement naturel. La destruction est la Béatrice du poète né parmi les décombres du siècle. La Nature est son nouveau poème, celui de la nature souveraine, tellurique, en étant aussi celui de la nature nouvelle de l'image, numérique.
Voir un nouveau film de Nurith Aviv, c'est prendre langue, c'est reprendre langue avec elle. Redécouvrir que la langue a plus d'une aile en se conjuguant au pluriel, c'est comprendre avec Des mots qui restent que nous sommes des mutilés de la langue quand nous manquons que nous vivons dans l'entre-langues. Prendre langue, reprendre langue(s).
Parti d'URSS à bord de la navette spatiale Soyouz TM-12 le 19 mai 1991, Sergueï Krikaliov est revenu presque un an plus tard, le 25 mars 1992, mais en Russie post-soviétique. Dans l'intervalle, l'URSS a en effet été officiellement dissoute, le lendemain du jour de Noël de l'année 1991. Monté au ciel dans sa double identité russe et soviétique, redescendu sur Terre en étant seulement russe, un cosmonaute aura vécu le privilège extatique des révolutions orbitales en lieu et place d'une étrange révolution historique.
Le film sera peu vu et pourtant c'est vrai : MarseilleS est un film d'une importance capitale pour nous et pour aujourd'hui. Il est déjà important en ceci qu'il ouvre le champ miné du présent en trouvant dans ses profondeurs abandonnées les mines de charbon du passé. La vérité consiste à voir en effet que le présent, celui de la banalisation de l'extrême-droite, se comprend moins avec le passé récent qu'à partir de nappes de passé plus éloignées.
Blackpool est une station balnéaire populaire située dans le nord-ouest de l'Angleterre. Elle est connue aussi pour attirer comme les papillons tous les comiques de la région et au-delà, artistes de music-hall et humoristes, experts en arts circassiens, stand-uppers et auteurs de numéros fantaisistes en tout genre. Blackpool est une terre d'accueil et d'exil pour ceux qui font du rire un métier recoupant celui de vivre.
Si la mélancolie s'impose à tous, chacun fabrique sa schizophrénie. Mohamed Soueid fabrique la sienne depuis plus de trente ans. C'est ainsi qu’avec ses amis il résiste et, survivant à la fameuse, trop fameuse mélancolie libanaise, il est devenu à lui-même un cinéma permanent, une chaîne de télévision, peut-être aussi un satellite d'observation des corps célestes irradiant des lumières fossiles.
Le passeur a été un ami, celui avec qui prendre au sérieux la vieille notion de cinéphilie. L'ami qui vient de passer, passant de l'écriture critique au cinéma qui n'a jamais cessé de l'être, n'aura jamais cédé sur la part d'ombre nécessaire à ce que le cinéma ne soit pas que du semblant, le réel qui échappe à la calculabilité caractérisant la machine cinématographique, la part de l'autre dont le cinéma a la garde en veillant à ne pas cesser d'être documentaire.
Le cinéma de David Cronenberg vérifie que l'art est une médecine de civilisation parce que vivre est une maladie, en montrant que l'artiste est un meilleur clinicien que tous les médecins parce qu'avec lui les organes et les prothèses ne servent plus à rien, délivrés de toute fonction, pures œuvres d'art d'un monde qui en a fini avec l'utilité.