Remettre au centre du récit celui qui en aurait été le narrateur marginalisé, voilà ce à quoi s'applique Mank qui offre à son personnage éponyme, le scénariste Herman Mankiewicz, un portrait tout en reconnaissance d'un pair derrière lequel se cache un père, Jack Fincher, auteur du scénario que son fils David a mis vingt ans à pouvoir adapter. Mais la requalification est caduque d'être aussi cousue d'évidence en bégayant souvent ce que les historiens nous ont appris depuis longtemps.
Reste que l'hommage au génie hollywoodien faussement méconnu s'ankylose dans le jeu faussé où il est trop souvent gagnant. Avoir le bon mot qui est toujours le dernier lui permet en effet d'incarner la bonne conscience de soi qui est en même temps la mauvaise conscience des autres, forcément.
Transparence et aporie
L'infini nuancier du noir et blanc, noir velouté et blanc satiné par le numérique et ses apprêts, ne fait pas écran à l'évidence : Mank ne souffre pas de se livrer pieds et poings liés à la transparence, ennemi du trouble par excellence. Transparent, le onzième long-métrage de David Fincher l'est en effet. Et il l'est résolument, sans troubler, quand il milite à remettre au centre du récit le conteur qui en aurait été exclu. Montrer que si Orson Welles est l'auteur de Citizen Kane (1941), le premier film hollywoodien à être celui d'un auteur sur-conscient de l'être, Herman J. Mankiewicz n'en demeure pas moins l'auteur de son scénario, est un rappel battu pour rien ou presque. Les historiens du cinéma s'en sont chargés depuis longtemps et les cinéphiles aussi, qui les lisent en leur emboîtant le pas. Partant, rien de nouveau sous le soleil hollywoodien. Rien, sinon que le replacement au centre de la photographie, s'agissant d'un scénariste dont l'étoile aurait été éclipsée par le soleil d'un génie précoce auquel il a cependant et décisivement prêté main forte, est un procédé on ne peut classique, récurrent à Hollywood. On le reconnaît à l'œuvre dans les nombreuses fictions que son industrie produit, comme le montrent encore récemment le dispensable Trumbo (2015) de Jay Roach et le magnifique Coco (2017) du studio Pixar.
Remettre au centre de l'image celui qui, au fond, n'en aura jamais vraiment été exclu ne mène pas bien loin, c'est couru d'avance. L'Oscar tenu en main par celui que l'on surnommait alors Mank à l'occasion de la toute dernière séquence du film de David Fincher, qui est l'unique statuette obtenue sur onze nominations par Citizen Kane, relève de la stricte redondance. Sur elle viennent de surcroît renchérir des choix esthétiques au potentiel de séduction limitée tant ils ajointent le vernis classieux d'un noir et blanc à vocation muséale (impossible de ne pas penser à The Man Who Wasn't There – The Barber des frères Coen) avec les chichis du simulacre et leur fétichisme abscons (les marques noires pour marquer le passage des bobines ne valent pas moins ou mieux que la pellicule qui craque et saute du diptyque Grindhouse de Quentin Tarantino et Roberto Rodriguez). L'aporie maniériste est vite atteinte quand la résolution numérique de l'image portée à 8K est mobilisée pour obtenir des effets de profondeur de champ dont la visibilité se tient très artificiellement en deçà des montages ingénieux composés alors par Orson Welles avec son opérateur Gregg Toland.
On a peine à voir encore comment une narration faisant la navette aller et retour en indexant l'écriture en 1940 du scénario de toute une vie sur l'existence de son auteur durant la décennie qui précède, est un jeu à courte vue en comparaison de l'inventivité d'écriture dont Mank aura été réellement capable, contemporaine des montages kaléidoscopiques du nouveau roman américain à l'exemple de ceux de John Dos Passos. Au mieux Mank se réduit à dérouler le commentaire historique sous-tendant la rédaction du scénario de Citizen Kane, avec ses anecdotes croustillantes et tout et tout (le fameux « Rosebud » aurait donc à voir avec les parties génitales de l'actrice Marion Davies, maîtresse de William Randolph Hearst, tiens, tiens). En ce cas, le film de David Fincher ne dépasse pas le rang du bonus de prestige en collant à la roue d'un film qui n'est pas seulement prestigieux, en valant encore aujourd'hui bien plus sur le plan esthétique que le monument culturel entretenu par les conservateurs en chef du cinéma soucieux de sa valeur patrimoniale.
« Tourné à Hollywood, Californie »
Mank perd donc tout intérêt en se jetant dans une bataille gagnée d'avance, et depuis longtemps, au moins Raising Kane (1971) de Pauline Kael. Le trait est même si forcé qu'il se retourne contre lui-même quand la remise au centre de Mank invite à reléguer le personnage d'Orson Welles hors-champ. En effet, David Fincher, qui cède à sa manière à la même inflexion rhétorique qu'Emmanuel Macron (« en même temps » est l'expression favorite du président lecteur de Paul Ricœur), n'hésite pas en même temps à sacrifier à l'obligation des hommages rendus à des formes cinématographiques qui relèvent davantage de l'art du réalisateur que de celui de son scénariste. L'alitement de Mank à la suite d'un accident de voiture, puis son évanouissement à force d'alcool sont par exemple sous l'évidente influence du plan-séquence de la tentative de suicide du personnage de Susan Alexander Kane. Reconduit à la porte de l'histoire, Orson Welles revient donc par la fenêtre des citations comme un diable monté sur ressort. Et il est plus retors que la composition de l'acteur Tom Burke qui s'est fait le visage de son modèle en imitant à la perfection le gouleyant charmeur de sa voix.
Mank retrouverait un peu plus d'allant cependant quand la description sertie de notations des studios à l'époque de la Dépression fait la part belle à la question politique, qui se tient alors dans le duel entre le romancier Upton Sinclair représentant le camp du socialisme et Frank Merriam pour les républicains, soutenu en 1934 par le mogul Louis B. Mayer et le tycoon William Randolph Hearst. David Fincher semble vouloir avec son film tracer une voie médiane entre la nostalgie d'une époque révolue où tant de génies pouvaient se côtoyer (Herman Mankiewicz et son frère Joseph, les scénaristes Ben Hecht et Charles Lederer, les réalisateurs Josef von Sternberg et Charlie Chaplin, les producteurs Irving Thalberg et David O. Selznick) et la critique sociale de son despotisme (les fausses larmes répétées du patron de la M.G.M., la subordination des acteurs quand ce n'est pas de la servilité et dont a une vive conscience la starlette Marion Davies). Le sentier est suivi jusqu'à ce qu'il permette de déboucher sur le constat contrasté des tristesses de l'inactuel comme de l'actuel : si Netflix a produit Mank, la plateforme triomphante de l'année 2020 représente la négation de la vie intellectuelle des studios des années 1930.
Il y aurait dès lors autant de tristesse que d'ironie contenue dans la toute dernière ligne du générique-fin : « tourné à Hollywood, Californie ». Comme un mirage dans le désert, la lumière fossile d'une comète dans la nuit. Le Hollywood d'antan ? Un château dans le ciel numérique, une fata morgana en streaming sur VOD.
Redondance dans la restauration
Comme The Irishman (2019) de Martin Scorsese également produit par Netflix, le film de David Fincher se fait linceul en portant le deuil d'une époque disparue, celle dont les horreurs réelles (per monstra) n'empêchaient cependant pas de produire les Atlas pour les supporter (ad astra). C'est pourquoi Mank voit quand même aussi dans la fin des années 1930 d'autres échos avec la fin des années 2010 dès lors que la perspective adoptée est moins artistique que politique. C'est une autre ironie de l'histoire en regard de la situation actuelle : Citizen Kane serait, dit-on, le film préféré de Donald Trump, quand bien même son scénario a été écrit par un juif libéral qui partage les idées progressistes du socialiste Upton Sinclair dont Bernie Sanders serait le successeur contemporain. On peut dès lors apprécier le film de David Fincher comme un commentaire par anticipation (son tournage a été achevé fin février 2020), distancié mais circonstancié de l'année, houleuse, durant laquelle ont eu lieu les dernières élections présidentielles étasuniennes.
Sauf que le commentaire tourne court quand on voit que Upton Sinclair occupe de manière structurale une position semblable à celle d'Orson Welles. Les deux génies occupent en effet d'un bout à l'autre la périphérie du récit, ses marges à la limite du bord cadre, polarisé autour de Herman Mankiewicz requalifié en génie central. Le génie qui lui a déjà été comme tel reconnu malgré l'alcoolisme et la disgrâce professionnelle est un génie à deux ailes, avec l'une dévolue à l'esprit de vérité dans un monde perclus de mondanités, et l'autre appartenant au narrateur qui brûle sa vie à la chandelle du récit en se distinguant ainsi du jeune visionnaire qu'il assiste.
Le cinéma comme reclassement, littéralement comme restauration : le cinéma comme requalification des déjà hautement qualifiés est une redondance, on l'a déjà dit. C'est une superfétation qui sert dans la foulée la stratégie de qualification auteuriste de David Fincher, lui-même étant pourtant déjà amplement reconnu comme un auteur. Autre effet de répétition qui est d'auto-annulation, autre aporie que retient l'hommage d'un héritier à ses pairs comme à son père (l'auteur du scénario est Jack Fincher, le père du réalisateur). Les motifs reviennent évidemment d'un film l'autre, tous aisément reconnaissables. Qu'il s'agisse de la querelle d'autorité entre les génies avec The Social Network (2010) ou de l'intellectuel en disgrâce pour avoir attaqué un patron de presse et aidé dans sa relève par une femme comme dans Millénium : Les Hommes qui n'aiment pas les femmes (2011). Même si, dans ce dernier film, Lisbeth Salander est nommément une salamandre, autrement dit une fille de feu qui trouble infiniment plus que la gentille secrétaire anglaise Rita Alexander.
La vieillesse précoce d'un hommes qui a 40 ans tout en faisant 20 de plus, articulée à une mention de Francis Scott Fitzgerald, ferait également écho à L'Étrange Histoire de Benjamin Button (2009) d'après une nouvelle de l'auteur de Gatsby. Mais les lissages de la culture redevable de ses génies sont préférés aux monstres du temps hors de ses gonds, entre prothèses cosmétiques de l'époque classique et effets spéciaux de l'ère numérique. Enfin, la partition discrète et jazzy des complices habituels Trent Reznor et Atticus Ross, en accueillant un instant une réminiscence des inflexions de Nino Rota pour 8 1/2 (1962) de Federico Fellini, boucle la cinéphilie sur la bonne conscience de ses devoirs, et cela sans rien retrouver de la fantasmagorie baroque du film cité. L'envie est grande alors de revoir les deux saisons de la série Mindhunter de Joe Penhall où, dans une facture plus modeste (comme producteur délégué, David Fincher en a réalisé quelques épisodes), le réalisateur s'aventure sur un terrain plus difficile où l'intelligence des génies se retourne en poison minant la libido sciendi des savants agents du F.B.I. qui, à la fin des années 1970, inventent avec la catégorie de serial killer la fonction policière de profiler.
Bonne conscience de l'un, mauvaise conscience des autres,
en même temps
Mank est génie, Mank est un démon. Le génie est un démon et il faut le comprendre de plusieurs façons. Le démon a déjà le génie de mettre
à distance un génie censément plus reconnu et admiré que lui (Orson Welles), tout en s'autorisant le dandysme de diffuser dans le milieu social où elle est abhorré, la pensée politique d'un autre
génie (Upton Sinclair). Le génie est encore un démon quand il incarne littéralement le daïmôn
de Socrate, c'est-à-dire la petite voix de la conscience qui est évidemment la bonne, cultivée de références échappant à ses
contemporains, et éclairée de la situation politique en Europe comme aux États-Unis. À cet endroit,
Mank est proprement insupportable quand il organise sa mise en
scène au strict bénéfice de son personnage éponyme : Mank a beau être en marge des réceptions mondaines, il est toujours au au centre des attentions parce que son esprit fait mouche, à
chaque fois, tout le temps. Mank a toujours le bon mot, toujours la bonne formule, toujours la citation, toujours le trait pour torpiller ses adversaires (Socrate encore), les moucher et ainsi
emporter leur adhésion, au moins le temps de l'escarmouche. Mank est une machine à moucher comme le xénomorphe de ALIEN³ (1992) est une machine à éviscérer.
Les exemples sont légion, ils ne manquent pas : Mank pousse dans ses retranchements Irving Thalberg qui sourit après son départ de son bureau en lui donner discrètement raison ; Mank trouve à la place de John Houseman la citation à propos de la situation présente qu'il n'aurait de toute façon pas pu produire sans lui ; Mank comprend une blague sophistiquée de son frère cadet tout en lui rappelant qu'il est meilleur en latin que lui. Le pire est atteint quand, dans une discussion portant sur le nazisme, Louis B. Mayer décrit comme un homme tenant serré sa judéité se plaint de la perte du marché allemand, tandis que Mank explique qu'en Allemagne hitlérienne la politique est alors à la mise en œuvre de camps de concentration. Le mogul pose alors la question suivante : c'est quoi un camp de concentration ? Le problème c'est que nous ne sommes plus en 1942 comme à l'époque où Ernst Lubitsch réalise To Be or Not to Be. Un pas de plus et Mank n'était pas loin de prévoir que le camp de concentration inaugurait déjà du camp d'extermination. Le regard rétrospectif est un piètre biais, gênant et totalement illusoire au demeurant quand il donne raison à ceux qui pressentent avant les événements ce que savent après coup ceux qui glorifient le génie aiguisé des anticipations faussées.
Mank est un démon dont le génie est fatigant : sa bonne conscience est la mauvaise conscience des autres, Louis B. Mayer et Orson Welles, Marion Davies et William Randolph Hearst, eux qui a toujours tort, lui qui a toujours raison. Sa rengaine est celle du « en même temps » : en même temps qu'il est la conscience éclairée des autres, il en éclaire la part d'obscurité et c'est à lui d'être désormais en pleine lumière. Dans l'image moirée et vernissée du numérique 8K mimant l'argentique des années 30. Comme dans l'incarnation attendue et extravertie de Gary Oldman qui, à la fin, tient pour Mank la statuette à la main qui devrait de toute évidence lui revenir si les Oscars décidaient de mieux récompenser les films produits par Netflix. Transparence totale, c'en est aveuglant.
L'horreur, l'horreur
(une parabole)
Il y a quand même deux séquences qui, dans Mank, enthousiasment pour le coup vraiment. Certes, c'est franchement peu sur un film dont la durée frôle les 130 minutes, mais deux scènes réussies valent toujours mieux qu'aucune. Dans la première, on voit une myriade de scénaristes proposer à David O. Selznick un projet de film d'épouvante hybridant les figures de Frankenstein et du loup-garou. La séquence est drôle en donnant à voir comment autant d'esprits cultivés sont mobilisés pour vendre un film d'exploitation, avec son exotisme en toc, sa jungle en carton et ses clichés déjà éculés. Mais la drôlerie laisse vite entrevoir aussi comment le cinéma de divertissement, dont est par ailleurs issu David Fincher, est tout imprégné de l'esprit Mitteleuropa de ses auteurs qui, pour certains ont été de grands critiques, quand la plupart sont de grands lecteurs férus de grande littérature. Les films d'épouvante produits par la RKO, où David O. Selznick a été directeur de production entre 1931 et 1933, donnent la preuve qu'un genre cinématographique longtemps méprisé a produit des réussites pleines de culture et d'esprit.
L'autre séquence est peut-être plus intéressante encore en ce qu'elle témoigne du seul moment troublant que Mank se sera autorisé, pourtant entièrement dévolu à la transparence d'effets de reconnaissance dont la limite révèle le salut d'un fils à son père autant qu'à son pair. C'est le dernier moment où Mank tient le rôle pénible de la bonne conscience de soi qui est la mauvaise des autres. C'est l'apothéose du dandy qui accepte de jouer au bouffon pour autant qu'il est le démon d'un monde replet de reniements et de trahisons. La relecture du récit du Quichotte par Cervantès est une allégorie toute en duplicité, qui reconnaît respectivement en William Randolph Hearst, Louis B. Mayer et Marion Davies les Don Quichotte, Sancho Pança et Dulcinée d'une renégation généralisée, les triste sires d'une trahison des idéaux du temps de la jeunesse qui ressemblaient alors de très près à ceux défendus par Upton Sinclair. La trahison des idéaux ira même jusqu'à converger dans le suicide du monteur Shelly Metcalf qui serait plus ou moins inspiré du réalisateur Felix E. Feist, auteur d'un faux montage d'actualités discréditant lors de la course à la gouvernance de Californie en 1934 le programme socialiste d'Upton Sinclair, et dont Jack et David Fincher supputent qu'il aurait peut-être inspiré la fameuse séquence de Citizen Kane intitulée « News on the March ».
« In cauda venenum » : dans la queue se trouve le venin en effet. Pour le bouffon qui joue de références culturelles, Cervantès succédant à William Shakespeare plusieurs fois cité et qui n'est pas que le seul domaine d'excellence d'Orson Welles, le venin fait de la grande littérature l'habit d'or d'une attaque en règle contre les jeunes idéalistes et les vieux renégats qu'ils sont devenus. C'est alors que William Randolph Hearst, joué de façon méphistophélique par Charles Dance, répond à l'allégorie de Mank par la parabole du singe et du joueur d'orgue de Barbarie. Si l'allégorie est transparente, la parabole le serait moins car, après tout, n'importe quel personnage peut être tantôt le musicien qui doit la réussite de son entreprise foraine à l'animal qui danse sur son épaule, tantôt le singe qui doit tout au spectacle donnant son sens à leur existence à tous les deux. L'autorité coiffant toutes les autres est celle du spectacle, morale hollywoodienne s'il en est. Et, à Hollywood, tous la reconnaissent car tous lui sont redevables, vieux renégats et bouffon du roi, mauvaises consciences et la bonne qui en représente le démon.
Alors, Hearst peut souverainement raccompagner Mank à la porte de sa demeure, qui est comme la porte de l'apologue kafkaïen « Devant la loi » situé dans Le Procès. Si David Fincher rouvre au génie tombé en disgrâce une porte qui l'a déjà été par les historiens du cinéma et les cinéphiles qui les ont lus, il admet quand même la force venimeuse de la parabole parce qu'elle oblige Mank à se taire. Le silence est précieux en ouvrant sous les pas de la bonne conscience qu'elle est peut-être moins un trait distinctif qu'une passion triste, farcie de ressentiment. Dans cette séquence-là comme dans la précédente, qui semblait à première vue plus légère, on aborde de semblables rivages obscures qui sont ceux de l'horreur. L'horreur de celui qui sait avoir raison mais dont la raison ne sert à rien d'autre qu'à suivre la pente de sa fêlure, comme chez Francis Scott Fitzgerald. Comme le cachalot pour Achab, référence littéraire d'emblée assumée.
L'horreur, l'horreur, celle qui serait peut-être, malgré le mépris longtemps subi par les gardiens du temple de la légitimité culturelle, un genre nodal pour l'industrie hollywoodienne, le lieu profond de sa vérité d'où a surgi aussi le cinéma de David Fincher. L'horreur, enfin, comme elle est susurrée par Kurtz à l'oreille de Marlow à la fin d'Au cœur des ténèbres (1899), le court roman de Joseph Conrad qu'Orson Welles rêvait d'adapter en 1939 à l'occasion d'un projet de film inabouti, avant d'ouvrir Citizen Kane par un prologue mystérieux et mythique qui doit tant aux ambiances gothiques de la RKO. L'horreur, celle que Mank évacue finalement en lui préférant comme dernier mot les effets transparents d'une reconnaissance à retardement qui, dans les faits, a toujours déjà eu lieu.
6 janvier 2021