Pré-Code (1930-1934), les revers de la parenthèse enchantée

(première partie)

« Forbidden Hollywood » est une rétrospective conçue en 2019 par Warner Bros. et le Festival Lumière proposant en dix longs-métrages un panorama dédié aux films rassemblés sous l'étiquette du Pré-Code. Soutenu par l'Agence pour le Développement Régional du Cinéma et l'Association Française des Cinémas d'Art et Essai, la rétrospective est consacrée à célébrer une « parenthèse enchantée » qui, entre 1929 avec le début du parlant et l'application en 1934 du Code Hays écrit cinq ans auparavant, a permis à des producteurs et des scénaristes, des réalisateurs et des acteurs de participer à une diversité de films culottés défendant « une vision du monde subversive, novatrice, dont la valeur ultime est la liberté » pour reprendre les termes de la critique Hélène Frappat dans le texte de présentation rédigé à cette occasion.

 

 

 

Le Pré-Code nomme ainsi comme un quasi-genre cinématographique qui, borné dans l'espace et le temps, voudrait rendre grâce et justice aux audaces de la courte séquence historique d'une industrie qui, dans un contexte de crise économique sévère, a fini par céder à la pression des ligues de vertu. Le scandale suscité par les trois procès de l'acteur et réalisateur burlesque Fatty Arbuckle issu de la Keystone Company et compromis dans une affaire de viol et de meurtre sur Virginia Rappe entre 1921 et 1922 impose l'idée d'appliquer un code de censure rédigé par deux bigots, le jésuite Daniel A. Lord et l'éditeur catholique Martin Quigley, sous la houlette de l'antisémite Joseph Ignatius Breen dirigeant jusqu'en 1954 l'office d'administration du code (Production Code Administration) et de l'avocat presbytérien issu des rangs du Parti républicain William Hays à la tête de la Motion Picture Producers and Distributors of America (MMPA) créé justement après l'affaire Arbuckle. Le code qui va mettre en difficulté bon nombre d'entrepreneurs, parmi lesquels le producteur Howard Hughes, a cependant pour lui de relever aussi d'une auto-régulation stratégique qui permet à Hollywood de calmer les ligues de vertu comme d'être protégé de l'ingérence de l'État fédéral.

 

 

 

C'est donc une erreur de parler de « pressions gouvernementales » comme le fait Hélène Frappat. Cette erreur n'est d'ailleurs pas la seule et, à force de tordre le bâton dans l'autre sens, on ne voit pas que le Pré-Code est une catégorie construite après coup qui, si elle a l'avantage de mettre l'accent sur un moment particulier de l'histoire de l'industrie hollywoodienne, a aussi le tort d'homogénéiser et sur-interpréter des films autrement plus complexes et retors à seulement servir d'illustration rétrospective des raisons actuelles et légitimes du féminisme et de la critique sociale du backlash réactionnaire et du conservatisme.

 

 

 

Regarder et apprécier les films de William A. Wellman et Michael Curtiz, William Dieterle et Roy Del Ruth, Jack Conway et Alfred E. Green, Clarence Brown et Victor Fleming, produites par Irving Thalberg et Albert Lewin pour la M.G.M. ou pour la Warner Bros., interprétés par Barbara Stanwyck et Jean Harlow, Joan Blondell et Ruth Chatterton, mais aussi par Clark Gable et James Cagney, George Brent et Warren William, c'est avoir affaire à une diversité qui complique la catégorie qui voudraient en unifier rétrospectivement l'unité qui n'est rien moins que fictive. L'adultère profanant les liens sacrés du mariage et la consommation d'alcool malgré la prohibition, la violence des rapports de travail qui se doublent d'une violence des rapports entre les genres, la force des femmes qui en veulent et la faiblesse des dominants qui tombent en décadence, tout cela participe en effet à rendre excitants des films produits alors que le code existait déjà même s'il n'était pas encore officiellement appliqué. Ces films étaient alors engagés à négocier durant tout le processus de production et de fabrication des marges de liberté qui allaient être considérablement réduites à partir de 1934.

 

 

 

Une « parenthèse enchantée » ? Oui et non

 

 

 

La « parenthèse enchantée » l'est puissamment pour les héroïnes respectives de Baby Face et Red-Headed Woman qui, modernes Lilith, sont des tornades blanches ou rouges dévastatrices. C'est aussi le cas pour les magnifiques relations amicales de White Nurse – L'Ange blanc (avec les deux infirmières jouées par Barbara Stanwyck et Joan Blondell) ou sentimentales de Blonde Crazy (quel beau couple que celui formé par Joan Blondell et James Cagney). La « parenthèse enchantée » l'est franchement moins pour les coolies victime du racisme colonial dans Red Dust – La Belle de Saïgon, pour les managers décrits dans Employees' Entrance comme des salauds nécessaires afin de sortir le capitalisme de la crise. La force supposément provocatrice et subversive de la liberté toujours décrite par Hélène Frappat se casse souvent le nez aussi sur la persévérance des vieux modèles féminins naturalisés (Female), sur le rappel à l'ordre des places et des hiérarchies (A Free Soul – Âmes perdues), sur la rémission morale des charlatans contrevenant à la règle de la norme (The Mind Reader).

 

 

 

Enfin, écrire qu'à l'époque du Pré-Code « les femmes prennent le pouvoir » est purement et simplement une fiction fallacieuse contredite par une réalité cinématographique massive, qui est majoritairement masculine en termes de production, d'écriture et de réalisation. Aucune productrice, pas davantage de réalisatrice et, du côté du scénario, n'apparaissent que les seuls noms d'Anita Loos (Red-Headed Woman) et Kathryn Scola (Baby Face et Female).

 

 

 

Une meilleure manière, plus juste et nuancée historiquement, d'apprécier la qualité des films hollywoodiens produits entre 1929 et 1934 consisterait plutôt à lire Mélanie Boissonneau. Issu de sa thèse, l'ouvrage intitulé Pin-up au temps du Pré-Code (1930-1934) (éd. Lettmotif, 2019) n'hésite d'ailleurs pas à critiquer la catégorie même du Pré-Code en rappelant qu'elle ne fait pas consensus dans le champ universitaire, en même temps qu'elle sert aussi à la valorisation commerciale intéressée des collections patrimoniales des studios. Prenons l'exemple significatif de Jean Harlow. La star est, selon Hélène Frappat, l'égérie d'une sexualité émancipée dont Red-Headed Woman, dédié à la « gloire du pouvoir féminin », offrirait le « manifeste cru, sexuel et brutal ». Oui, mais c'est alors en taisant de manière bien problématique comment la première bombe explosive et blonde du cinéma hollywoodien a été, à l'instar de Betty Boop, l'objet d'une « stratégie de domination qui la rend (…) beaucoup moins subversive que sa réception ne le suggère » (Ibidem, p. 240).

 

 

 

On ne serait pas loin de penser d'ailleurs que la célébration des figures féminines émancipées et émancipatrices du temps béni du Pré-Code, loin de s'opposer à la domination patriarcale et sexiste, en entretiendrait au contraire la reproduction symbolique. C'est le cas quand ce discours, à force d'illusion par idéalisation rétrospective, fait totalement fi des conditions réelles de production des films comme des clivages narratifs dont ils témoignent souvent et qui ne se réduisent pas à des fins artificielles que la critique pourrait simplement écarter d'un revers de la main. « La société patriarcale met donc en place une parfaite illusion en dominant les personnages féminins dans les films et en construisant une image de fausse émancipation a posteriori » écrit ainsi Mélanie Boissonneau qui consacre de nombreuses pages passionnantes à Jean Harlow, portant notamment son interprétation dans Red Headed Woman (Ibid., p. 454).

 

 

 

C'est dans cette perspective-là, qui allie l'analyse filmique à la critique matérialiste, que l'on pourra apprécier pleinement des films pour ce qu'ils sont vraiment, à savoir des composés instables et tiraillés, qui promettent beaucoup avant de dissiper l'ivresse (Jewel Robbery) ou s'effondrer (Female et A Free Soul – Âmes perdues), dont les clivages assombrissent les élans modernistes (la femme gagne dans Red Dust – La Belle de Saïgon ce qu'y perd le racisé) ou bien les contraignent à revenir au bercail (The Mind Reader et Employees' Entrance), qui surprennent par leurs audaces (Baby Face et Red-Headed Woman) ou bien encore par la subtilité des relations décrites (White Nurse – L'Ange blanc, Blonde Crazy). Rien de plus vivant alors que des films respectés dans les contradictions qui les travaillent et dont les tiraillements peuvent alors éclairer les nôtres à l'heure sombre du vacarme triomphant des réactionnaires.

 

 

 

1-20 juillet 2020

 Baby Face (1933) d’Alfred E. Green

 

 

 

La prostitution, au départ comme à l’arrivée

 

 

 

Baby Face sort aux États-Unis le 1er juillet 1933. Un an plus tard, jour pour jour, l’antisémite Joseph Ignatius Breen est nommé par la Motion Picture Producers and Distributors of America (MPPDA, l’association interprofessionnelle qui défend les intérêts des majors dominant Hollywood) pour administrer la mise en application du Code Hays rédigé en 1929 par un éditeur catholique (Martin Quigley) et un prêtre jésuite (Daniel A. Lord) sous la supervision de son président, l’avocat presbytérien William Hays issu du bureau national du Parti républicain. Les ligues de vertu, si elles sont minoritaires en regroupant dans un pays majoritairement protestant catholiques puritains et intégristes, sont suffisamment influentes à l’époque de la Grande Dépression pour obliger l’industrie hollywoodienne alors frappée par la crise économique à adopter un code de censure morale, portant notamment sur les questions sexuelles. Un an auparavant, la Warner Bros. pouvait encore rivaliser avec la Metro-Goldwin-Mayer en produisant avec Baby Face d’Alfred E. Green sur une idée de Darryl Zanuck une réponse à la hauteur des audaces Red-Headed Woman de Jack Conway sorti le 25 juin 1932 et produit par Albert Lewin et Irvin Thalberg.

 

 

 

Fleuron du moment Pré-Code, Baby Face suit la voie ouverte par The Divorcee (1930) de Robert Z. Leonard produit par la M.G.M. la blonde Barbara Stanwyck rejoint désormais les rouquines Norma Shearer et Jean Harlow dans le rôle de la femme forte jusqu’au cynisme dont la liberté sexuelle témoigne d’une exigence d’indépendance face à l’empire des hommes. Lily Powers succède ainsi à Lillian pour figurer un nouvel et moderne avatar de Lilith, cette divinité mésopotamienne du vent et de la tempête devenue à l’époque médiévale des légendes juives un démon nocturne et surtout la première femme d’Adam avant Eve. Au moment où fleurissent comme des fleurs du mal Nana (Catherine Hessling chez Jean Renoir), Loulou (Louise Brooks chez Georg W. Pabst) et Lola-Lola (Marlene Dietrich chez Josef von Sternberg), de l’autre côté de l’atlantique Lily et Lillian mettent le feu à l’écran en fichant la pagaille dans les normes conjugales et les foyers bourgeois, tantôt en livrant les patriarches et les maris à l’impuissance d’agir face aux ravages d’une tornade sexuelle (Red-Headed Woman), tantôt en faisant de la promotion canapé un moyen d’ascension sociale intéressé déclenchant une nouvelle vague de suicide chez les banquiers (Baby Face).

 

 

 

Loin du féminisme que des critiques empressés croient rétrospectivement reconnaître dans l’éventail des personnages féminins valorisés par les films rassemblés après coup sous l’étiquette du Pré-Code, la féminité s’expose plutôt en accord aux logiques concomitantes de l’individualisme concurrentiel et de la rationalité instrumentale promue par l’utilitarisme, loin des causes collectives qui mobilisent les femmes à l’instar des suffragettes et qui n’intéressent pas Hollywood, y compris durant l’intervalle rêvé d’une parenthèse enchantée. Il n’empêche que le sexe s’y vérifie aussi comme la part maudite d’une économie de marché dès lors vérifiée dans l’hypocrisie de son discours travailliste et méritocratique et la dimension libidinale au cœur de toute mobilité sociale. Le jeu raisonné des intérêts n’escamote pas l’élan des affects caractérisant la condition passionnelle des existences. Si structuralisme il doit y avoir encore, c’est comme y invite Frédéric Lordon celui des passions expliquant notamment pourquoi une femme qui veut se venger des hommes reproduit à son corps défendant l’injonction prostitutionnelle de son père qui est le premier homme détesté.

 

 

 

En 71 minutes, Lily passe comme le vent du speakeasy paternel en milieu ouvrier au sommet de la banque new-yorkaise avant un exil parisien. Un gag récurrent appartient à la métonymie du building gravi étage par étage suturant l’ascension professionnelle d’une femme à la maîtrise du signifiant phallique. Mais ce n’est pas un gag quand le vent lève un brasier qui commence dans les flammes de l’alambic où meurt un père haï pour exploser à nouveau dans les coups de feu qui sont fatals. Et Barbara Stanwyck d’avoir déjà ce sourire crispé, mâchoires serrées, comme s’il s’agissait d’aiguiser un couteau sur la meule d’une cambrure à se damner. Lily est blasée en carburant au ressentiment et sa volonté est de revanche qui montre de quoi se paie le désir de s’élever et d’arriver. C’est la différence radicale entre Lily et Lillian : quand la seconde est une tornade rouge dont la voracité est sans morale ni limite, la première est à la fin soulevée par un sursaut éthique qui, loin de valoir comme l’ajout artificiel d’une fin moralisatrice, interrompt le circuit d’une pulsion toujours déjà là.

 

 

 

Au début, le père est une figure qui se divise en deux. Il y a celui qui est prêt à prostituer sa fille pour faire tourner son commerce et il y a l’autre, le vieux cordonnier cultivé qui lui promet avec la lecture de Nietzsche la liberté d’exploiter son individualité. Mais le livre est La Volonté de puissance, un montage fautif offert par la sœur du philosophe aux nationalistes allemands et qui falsifie sa philosophie. Autrement dit le cadeau est empoisonné car, loin d’émanciper l’esclave devenant le maître de son destin, il entretient par le savoir et la culture un autre asservissement. La fille qui pensait échapper à la prostitution comprend qu’avec la promotion canapé elle est devenue son propre maquereau.

 

 

Le père est mort mais sa leçon a été assimilée comme un mauvais alcool de contrebande. Et Lily par l’oreille le reconnaît incidemment : d’un côté quand le gramophone fait tourner la rengaine où le solde de tout compte des amants nécessaires à l’ascension montre qu’il s’inscrit au registre de la prostitution universelle ; de l’autre quand la copine de toujours, Chico, chante à la fin comme au début le gospel de ses ancêtres esclaves qui devient insupportable à l’héroïne. On regrette que la sœur de galère ne reste aux côtés de Lily qu’en étant assigné à son statut racial subalterne (l’amitié doit se cacher dans des rapports de domesticité qui le sont vraiment). Cela, Jean-Claude Brisseau le réparera avec Choses secrètes (2002).

 Red-Headed Woman (1932) de Jack Conway

 

 

 

Tornade rouge

 

 

 

Jean Harlow frétille, pétille, émoustille, elle soûle aussi parce qu’elle ne s’arrête jamais, qu’elle ne dessoûle jamais. Elle joue de l’arc de ses jambes comme d’un compas pour reprendre la fameuse métaphore de François Truffaut ; cela lui permet notamment de tracer une carte du tendre qui est celle de la viande mâle attendrie par ses grossiers subterfuges, en reliant la provinciale Renwood à la métropole New York jusqu’à accéder aux champs de course hippique des environs de Paris. Elle se dandine, elle roule de l’arrière-train en roulant aux pieds de ses nombreux amants pour leur faire croire abusivement qu’elle est leur chienne alors que la maîtresse c’est elle. Jean Harlow est une roulure qui a la malice de rouler ses amants dans la farine de ses savants plâtrages cosmétiques. Maîtresse est un jeu qu’elle prend au sérieux, au pied de la lettre, littéralement. La dialectique du maître et de l’esclave est chez elle un savoir spontané, un instinct de survie. Jean Harlow fait rire et elle fait peur en même temps : avec son visage boursouflé, ses sourcils réduits à un trait de crayon, ses grands yeux bleus écarquillés et ses coups de mentons, elle fait tour à tour songer à Laurel & Hardy (avec qui elle a joué), aussi au clown Pennywise ou Grippe-Sou dans le Ça de Stephen King. En fait, Jean Harlow est une vraie monstresse. Avec la tornade rouge on ne peut pas faire semblant de ne pas voir que la sexualité est monstrueuse, qu’elle est irrésistiblement un joyeux avilissement.

 

 

 

Dans Red-Headed Woman, Jean Harlow interprète une harceleuse sexuelle de très haut niveau, exceptionnelle. Elle commence par rendre complètement dingue son patron, le pathétique William Legendre (Chester Morris ressemble à un mélange étonnant de Vince Vaughn et Joaquin Phoenix et l’acteur a la génie de savoir se couvrir de ridicule, y compris en usant d’une violence virile qui n’est qu’un symptôme supplémentaire de son désœuvrement). Lillian que l’on surnomme Red s’entiche ensuite du roi du charbon Charles Gaerste mais sa rustrerie trahit ses origines prolétaires et cela l’empêche d’être acceptée par le petit monde clos des mondanités bourgeoises lui signifiant que son abattage ne se substituera jamais au requisit des bonnes manières exigées. Pas grave, l’avatar moderne de Lilith souffle où elle veut le chaud et le froid et après quelques coups de feu de rigueur on la retrouve ailleurs. L’épilogue du du film de Jack Conway est effectivement soufflant tant pousse loin son immoralisme. On y voit l’héroïne flanquée d’un grand bourgeois parisien être à la fête pour avoir remporté un prix hippique sans avoir une seule pensée pour ceux qui, de l’autre côté de la piste, l’observent à la jumelle en craignant d’être à nouveau emportés par un pareil bulldozer.

 

 

 

On sait que Baby Face tourné par Alfred E. Green pour la Warner Bros. se veut une réponse circonstanciée au Red-Headed Woman de la major rivale, la Metro-Goldwyn-Mayer. Barbara Stanwyck est sûrement une actrice plus subtile que Jean Harlow et Baby Face un film plus froid, plus analytique, plus cruel aussi en extrayant de la comédie de la promotion canapé la tragédie de la prostitution universelle que seul arrive à suspendre un sursaut éthique. Pourtant, Red-Headed Woman qui est en effet un film plus basal et agressif exerce un pouvoir de fascination certain tant il ne craint pas d’investir les effets de trouble qu’il peut y avoir à l’endroit même où règne la plus excessive des vulgarités. Avec Jean Harlow, le sexe est une dépense somptuaire grâce à laquelle le maître devient l’esclave de son esclave et où le drame ne peut jamais advenir tant domine le principe de la comédie jusqu’à la parodie. La scénariste Anita Loos aidé par Francis Scott Fitzgerald (non crédité au générique) s’amuse en effet d’emblée en faisant de la vedette qui vient de triompher dans Platinum Blonde (1931) de Frank Capra une rouquine qui se moque de l’adage selon lequel « gentlemen prefer blondes »… qui est le titre du roman dont elle est l’autrice et qui a continuellement fait l’objet de plusieurs adaptations théâtres, musicales et cinématographiques (Howard Hawks en proposera la sienne en 1953). Et puis, on l’a déjà relevé, l’actrice a les trucs burlesques de Laurel & Hardy et son visage est celui d’un clown effrayant. La rouquine n’a pas froid aux yeux parce que, battue, son corps couve une insatiable faim de jouissance.

 

 

 

Red est avide, féroce, furieuse. Elle est un vortex, un trou noir, peut-être le reste d’un potlatch. La crise économique de 1929 devient le prétexte à des jouissances féminines qui n’adviennent qu’avec l’épuisement hystérique des mâles et la débandade stratégique qui les afflige. Le mari fidèle ne peut s’empêcher de tromper sa compagne qu’il aime depuis l’enfance. L’héritier qu’il est fait discrètement la honte de son père compatissant. Le roi du charbon qui le remplace ignore qu’il est au fond de la mine tandis qu’à la surface Red le trompe gaiement avec son chauffeur français (Charles Boyer) qui est l’amant régulier de toutes les maîtresses de monsieur. Quand arrive la fin, le drame des coups de feu tirés par Red sur son ex-mari réconcilié avec son ex-épouse révèle qu’il n’en sera jamais un. La sanction peut-être espérée par les spectateurs les plus attachés au respect de l’ordre moral n’arrive pas. À la place, Red-Headed Woman montre son héroïne triompher, plus exaltée que jamais. Elle jouit partout, dans le registre des mondanités, des richesses matérielles garanties par le nouveau compagnon et le sexe off assuré par le chauffeur et amant régulier.

 

 

 

L’immoralisme est une fête somptueuse qui, encore une fois, n’a rien à faire ou à voir avec un quelconque féminisme. Le film de Jack Conway s’intéresse à autre chose qui est un symptôme de l’époque : la vulgarité, les bourgeois croient s’en protéger en usant et abusant des mondanités ; les mondanités ne sont que vulgarités brassées par celle qui assume le monstrueux d’une actualité où l’usage utilitaire et intéressé des corps permet aux femmes de rejoindre les hommes avant la fin pressentie du monde tel qu’ils l’auront connu. La mondanité est une vulgarité qui s’ignore et la plus vulgaire d’entre toutes et tous est celle qui incarne sans limite la fin apocalyptique de la honte.

 Red Dust – La Belle de Saïgon (1932) de Victor Fleming

 

 

 

L'autre belle de Saïgon

 

 

 

L'histoire de Jean Harlow est terrible. La gamine ingénue sur qui se retournent les hommes dans la rue rêve de cinéma et elle est poussée dans cette voie par sa mère, fanatique qui ne croit qu'à la Christian Science. Jean Harlow qui n'a jamais suivi un seul cours de comédie fait en 1929 quelques apparitions dans les films de Laurel & Hardy et Laurel la suggère à l'impresario Arthur Landau qui cherche une actrice de remplacement à la suédoise Greta Nissen pour Hell's Angels (1930) de Howard Hughes. Avec le passage au parlant, les accents sont sanctionnés tandis que la voix rauque de Jean Harlow fait au contraire des merveilles. Le film est une carton en faisant de l'actrice une vedette alors qu'elle n'a que 19 ans. Après un contrat signé avec la M.G.M., Jean Harlow enchaîne rien que pour l'année 1931 les tournages de Tribunal secret (1931) de George W. Hill où elle joue pour la première fois aux côtés de Clark Gable, premier essai réussi d'une passe de six qui va marquer la décennie, puis l'important Ennemi public de William A. Wellman avec James Cagney et L'Homme de fer de Tod Browning. Les critiques ne l'aiment pas mais le public l'adore. La Fox l'engage alors en lui proposant les rôles de Goldie de Benjamin Stoloff et Platinum Blonde de Frank Capra. La star est consacrée comme sex-symbol, la première « blond bombshell » de Hollywood.

 

 

 

Autre « blond bombshell », Marilyn Monroe s'est donnée comme modèle Jean Harlow et sa mère, aussi volontariste à faire de sa fille une star que « Mama Jean », l'a encouragée dans cette voie en la prénommant déjà Norma Jean. Le modèle n'en reste pas moins celui d'une tragédie partagée par tant d'actrices brutalisées par l'industrie hollywoodienne. La harceleuse fantasque de Red-Headed Woman (1932) de Jack Conway habille en réalité une femme harcelée par son entourage : déjà sa mère qui exploite son talent en l'intoxicant des préceptes fondamentalistes de sa religion ; ensuite son mari Paul Bern, numéro trois de la M.G.M. qui a vingt ans de plus qu'elle et l'épouse en juin 1932. Le soir des noces, Jean Harlow retrouve Arthur Landau en larmes, le corps mutilé. Quelques jours plus tard son mari se suicide. On a découvert longtemps après que Paul Bern souffrait alors d'un complexe d'infériorité lié à un micro-pénis. L'utilisation d'un godemiché a provoqué avec le rire de Jean Harlow la réaction outragée du mari humilié qui l'a rouée de coups puis, repentant, s'est donné la mort en laissant une lettre d'excuse à côté de son cadavre. Louis B. Mayer a tout fait alors pour étouffer les raisons intimes d'une affaire qui risque d'exciter les ligues de vertu alors que le Code Hays est déjà écrit depuis 1929. L'alliance des coups dans les reins infligés par Paul Bern et du fanatisme religieux de sa mère auront raison de la vie de l'actrice emportée par une infection rénale sur le tournage de Saratoga (1937) de Jack Conway. Jean Harlow meurt à 26 ans.

 

 

 

C'est après cette terrible tragédie conjugale que Jean Harlow retrouve Clark Gable dans Red Dust de Victor Fleming. La Belle de Saïgon n'est certes pas un chef-d'œuvre du Pré-Code, il est pourtant le premier grâce auquel le talent de l'actrice a enfin été reconnu par la critique. Et son talent compte en effet pour beaucoup dans l'intérêt d'un film mineur, miné par le contexte colonial de son récit (une exploitation de caoutchouc en Cochinchine) qui invite sans vergogne les occidentaux à entonner continuellement la rengaine de la fainéantise des coolies qu'ils brutalisent sans comprendre qu'il y va d'une résistance à l'oppression que les premiers font subir aux seconds. Si le Pré-Code est célébré aujourd'hui comme une « parenthèse enchantée » (Hélène Frappat) concernant la représentation notamment de l'indépendance sexuelle des femmes, la question raciale assombrit cependant considérablement les enchantements promis avec lesquels s'acoquine la reproduction des stéréotypes (incarnés par le pauvre Willie Fung dans le rôle de l'éternel cuisinier chinois rigolard).

 

 

 

Il y a pourtant quelques réjouissances. D'abord, la jungle indochinoise reconstituée en studio selon la prescription hollywoodienne est fascinante de réalisme. Il suffit de quelques travellings-arrière à travers la jungle, d'un vaste plan d'eau sur lequel flotte un bateau et de quelques percées dans la profondeur de champ pour être admiratif des puissances du faux dont l'industrie savait déjà être capable. D'autant que cette jungle touffue, rincée la plupart du temps par une mousson abondante et fréquentée par un tigre attiré par la viande de buffle, déploie un paysage imaginaire accordé aux charges libidinales lourdes qui habitent tous les personnages. Le caoutchouc et ses apparences fromagères offrent également des métaphores pas piquées des hannetons pour indiquer l'écume lactescente du désir dont les courants contradictoires traversent l'aventurier Dennis Carson (Clark Gable), la prostituée Vantine (Jean Harlow) et la femme mariée Barbara Willis (Mary Astor). C'était l'époque où Irving Thalberg pouvait produire pour la M.G.M. des films où un homme affirme haut et fort son credo polygame et une femme mariée tromper son mari en espérant que son amant envoie le cocu dans la jungle perdre son temps à tracer le chemin qui n'est que celui de l'adultère.

 

 

 

Le plus beau de Red Dust appartient cependant à l'autre belle de Saïgon. Si Mary Astor a la douceur nécessaire pour jouer la femme mariée troublée par la proximité de l'adultère, Jean Harlow campe une figure d'une étonnante modernité, immunisée contre l'hystérie des rivalités mimétiques, dotée d'un pragmatisme qui est une sagesse finissant par emporter le cœur du mâle sans jamais rien forcer. Si la belle de Saïgon parie sur le sex-appeal de la femme mariée, l'autre belle de Saïgon fait le pari de l'amitié et de la virilité dont elle connaît les codes, du soin du corps aux lectures qui soignent l'âme. Mogambo (1953) de John Ford est un bon remake du film de Victor Fleming. Si Grace Kelly et Ava Garner n'y déméritent pas face à Clark Gable encore là, Mary Astor et surtout Jean Harlow incarnent une modernité sur laquelle revient classiquement la triangulation scénaristique du remake.

 Blonde Crazy (1931) de Roy Del Ruth

 

 

 

Les arnaqueurs

 

 

 

Les trois principes généraux du Code Hays sont les suivants : « Aucun film ne sera produit qui porterait atteinte aux valeurs morales des spectateurs. De la même manière la sympathie du spectateur ne doit jamais aller du côté du crime, des méfaits, du mal ou du péché » ; « Des standards de vie corrects, soumis uniquement aux exigences du drame et du divertissement, doivent être montrés » ; « La loi, naturelle ou humaine, ne sera pas ridiculisée et aucune sympathie ne sera accordée à ceux qui la violent ». Blonde Crazy n'est pas vraiment le film le plus osé du Pré-Code. Il n'en reste pas moins vrai que le film de Roy Del Ruth ne respecte aucun des principaux moraux généraux du Code. Les personnages principaux sont des arnaqueurs arnaqués par plus arnaqueurs qu'eux. Joués par James Cagney le rôle du groom d'un grand hôtel du Midwest et Joan Blondell dans celui de la lingère qui fait la connaissance de ce dernier et qui décide de le suivre dans le passage de l'emploi légal aux activités illégales, Bert Harris et Anne Roberts personnifient tout ce que le Code Hays voudra effacer du tableau hollywoodien. Parce qu'il est évident que la filouterie participe à la sympathie ressentie par le spectateur à leur égard et que la série des arnaques et des contre-arnaques dont fait son miel le récit de Blonde Crazy révèle qu'il n'y aurait pas de plus grand amour, peut-être, que celui qui naît de la connivence et des chamailleries des meilleurs amis.

 

 

 

L'idée est partagée par Red Dust de Victor Fleming et Blonde Crazy : la bonne copine est la meilleure des amoureuses ; encore faut-il que le garçon finisse par l'admettre et un temps plus long lui est nécessaire quand la fille semblerait l'avoir d'emblée compris. Il est d'ailleurs remarquable que les deux blondes aient la possibilité de nuancer le sex-appeal lié à leur chevelure platinée dans la perspective d'une douceur et d'une complicité qui va progressivement gagner le cœur du mâle dont la virilité le rend longtemps insensible à la dignité du sentiment nourri par la bonne copine. Cela s'incarne admirablement dans les jeux respectifs de Joan Blondell et James Cagney. Le second est déjà l'une des grandes vedettes masculines de l'écurie Warner, auréolé des succès d'Au seuil de l'enfer (1930) d'Archie Mayo et L'Ennemi public (1931) de William A. Wellman. Le dur au tempérament nerveux et aux origines irlandaises a des crépitements physiques et langagiers qui font des merveilles, même dans un rôle de groom. Une insulte devient culte (« That dirty double-crossing rat ! »). Un bijoutier en fait aussi les frais, giflé par la liasse de billets que lui arrache Bert à la suite d'une négociation serrée. James Cagney a du chien et sa petite taille, loin d'être un défaut, participe à tasser et concentrer une énergie prête à exploser comme ce sera le cas chez Raoul Walsh.

 

 

 

Il faut pourtant reconnaître l'adoucissement du bonhomme quand Anne est à proximité. Quand Anne gifle Bert, c'est toujours pour rire, un jeu bien entendu ainsi, une gaminerie dont la complicité si bien partagée arrive à détendre cette concentration de violence sèche et nerveuse dans le jeu de James Cagney (Malcolm McDowell semblerait avoir retrouvé quelque chose du sourire mi-cynique mi-sadique de son aîné, particulièrement dans Orange mécaniqus de Stanley Kubrick). De son côté, Joan Blondell ne surjoue jamais la jeune femme sexy ; au contraire, son visage tout en rondeur rayonnante relaie un souci qui consiste à protéger le bon copain de ses excès et à s'en protéger en y voyant les preuves d'un amour possible mais dont la construction sera difficile, avant la conviction que l'amour sera avec lui et personne d'autre que lui. Blonde Crazy raconte superficiellement le petit monde des arnaqueurs frayant dans les grands hôtels du pays. Son vrai problème consiste à raconter, en parallèle des arnaques et contre-arnaques montrant qu'arnaqués et arnaqueurs sont des positions aussi symétriques qu'elles peuvent s'échanger, la laborieuse synchronisation des sentiments entre deux cœurs qui découvrent que l'amour est une évidence longtemps opacifiée par la complicité des potes lancés dans l'escroquerie (peut-être Stephen Frears y aura-t-il pensé avec Les Arnaqueurs).

 

 

 

Blonde Crazy sait faire preuve d'un certain brio dans la représentation des situations de filouterie. Bert fait d'abord la connaissance de l'escroc professionnel Dapper Dan Barker (Louis Calhern) pour apprendre auprès de lui les ficelles de la circulation de la fausse monnaie avant de saisir qu'il est l'une de ses victimes. Le trou dans le mur caché par un secrétaire est d'ailleurs une astuce que l'on retrouvera dans Les Aventures d'Arsène Lupin (1957) de Jacques Becker. Bert tente ensuite de se refaire la main avec une ingénieuse arnaque au bijou qu'il fait commander à l'adresse d'une maison des quartiers chics et sur lequel il met la main en se faisant passer pour un employé de la bijouterie dont il a habilement récupéré la carte. Anne va elle-même faire preuve d'une intelligence diabolique en retrouvant Dapper Dan pour le rouler dans la farine dans une arnaque réussie aux paris hippiques. Mais pour Anne il s'agit de solder les comptes d'un amour qui en est arrivée au point où elle ne peut plus se satisfaire ni des claques amicales ni des filouteries réussies. Le cœur brisé, Bert accepte alors qu'Anne s'en aille en convolant avec un homme bien mis rencontré dans un train.

 

 

 

Quand Anne reparaît un an après son mariage avec un riche cadre interprété par Ray Milland, c'est pour apprendre à Bert que son mari est mouillé dans une escroquerie. Blonde Crazy y insiste en riant : l'arnaqueur est un type social assez répandu dans l'Amérique de la Grande Dépression. L'aide amicale de Bert va cependant se solder par un piège arrangé par le mari d'Anne afin de refiler la note à son rival. Bert est en prison pour une escroquerie qu'il n'a pas commise et Anne le retrouve. Le beau est que Bert n'a aucun doute sur la sincérité d'Anne. Et l'évidence de l'un rejoint celle de l'autre. Le baiser qui scelle l'amour des vieux potes manifeste une tendresse inédite, y compris pour James Cagney comme gagné à la douceur réelle du visage de Joan Blondell. Le succès de Blonde Crazy a permis à l'acteur de tripler son salaire sans retrouver un visage aussi émouvant et détendu.

 Jewel Robbery (1931) de William Dieterle

 

 

 

Les menus plaisirs du ravissement

 

 

 

Wilhelm Dieterle est né dans une famille pauvre du côté de Mannheim. Le jeune charpentier s'initie au théâtre à l'âge de seize ans et à 21 ans il décroche son premier rôle au cinéma. Il voudrait bien se mettre à la réalisation mais n'y arrive pas. Entre-temps, il fait la connaissance de Max Reinhardt, le grand metteur en scène de théâtre autrichien installé à Berlin. Durant les années 1920, il joue entre autres dans L'Expulsion (1923) de Friedrich W. Murnau et Le Cabinet des figures de cire (1924) de Paul Leni et Leo Birinsky, « chant du cygne cinéma expressionniste » pour le critique Georges Sadoul. C'est sur ce film qu'il devient assistant-réalisateur et tourne une dizaine de films entre 1923 et 1930. Cette année-là, la Warner l'invite à Hollywood et il s'y installe en prenant en 1937 la nationalité étasunienne. Wilhelm Dieterle se fait appeler désormais William Dieterle et en 1931 co-réalise avec le juif hongrois Michael Curtiz Le Démon des mers. C'est une production hollywoodienne destinée au public allemand qui consiste en l'adaptation de Moby Dick d'Herman Melville et il y interprète le rôle du capitaine Achab. Ses relations continuées avec d'autres émigrés allemands comme Max Reinhardt et le compositeur Erich Wolfgang Korngold va déboucher en 1937 sur la mise en scène du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Comme Fritz Lang, William Dieterle ne revient travailler en Allemagne qu'en 1958.

 

 

 

Jewel Robbery est l'un des premiers films hollywoodiens de William Dieterle et l'on y sent nettement la nostalgie de la vieille Europe. Si l'action se passe à Vienne, la promesse finale destine les héros à se retrouver à Nice et, entre le couchant de l'empire austro-hongrois et l'aurore promise de la Côte d'Azur, il y a un monde brillant de faux-semblants policés, soyeux et vernissés où les mondanités habillent d'élégance les voleurs qui préfèrent être qualifiés de cambrioleurs (William Powell, alors le mari de Carole Lombard et qui devient en 1936 le fiancé de Jean Harlow) et les baronnes qui ont la gentillesse de tromper leurs maris avec leurs meilleurs amis (Kay Francis). On retrouvera significativement Kay Francis dans le rôle notable de la riche madame Collet que veulent plumer le voleur Gaston Monescu (Herbert Marshall) et la pickpocket Lily de Vautier (Myriam Hopkins) dans le génial Trouble in Paradise – Haute pègre (1932) d'Ernst Lubitsch, autre fleuron du Pré-Code tourné peu de temps après Jewel Robbery. L'un comme l'autre des deux films vérifient que la mondanité habille l'arnaque comme la feuille de vigne les sexes d'Adam et Eve.

 

 

 

Il y a de toute évidence une brise viennoise qui souffle dans les deux films en y faisant écumer la mousse pétillante des plaisirs décadents. Loin de poser l'équation de la morale et des mondanités bourgeoises, les films respectifs d'Ernst Lubitsch et et William Dieterle montrent que le principe de plaisir et le principe de réalité coïncident dans le sens ganté de la réversibilité de la morale et de l'immoralité. Mais là où Trouble in Paradise est un sommet pythagoricien de suggestivité (« Ne dis pas peu de chose en beaucoup de mots, mais dis beaucoup de choses en peu de mots » disait Pythagore), Jewel Robbery préfère s'accommode de bons acteurs et de longueurs (avec au centre la séquence dans la bijouterie) nécessaires aux plaisirs longs en bouche des dialogues théâtraux. William Powell sautille impeccable en lapin blanc aux manières françaises et Kay Francis écarquille les yeux en souriant de toutes ses dents, convenant de sa préférence à se faire voler les plus beaux bijoux offerts par le vieux mari qu'elle trompe allégrement. C'est un plaisir et il n'est pas anecdotique s'agissant de voir se réjouir la baronne qui demande au cambrioleur qui l'a séduite de lui montrer ses bijoux. Le moment est parfaitement jubilatoire puisque la métaphore est en effet le gant aisément réversible habillant la main obscène de la littéralité.

 

 

 

Ce qui participe au jeu des retournements du littéral et du métaphorique, et cela de manière plus notable encore, reste les cigarettes qui font rire et que distribue le gentleman-cambrioleur à ses victimes pour les inclure plus intensément en sujets actifs de la transgression. Le smoking ne nomme plus l'attribut des bourgeois qui sont de sortie mais la fumée qui résulte des combustions interdites, des ivresses volatiles. Le plaisir est alors celui où la cambriole se fait non seulement joyeux enlèvement mais également enivrant ravissement. Adultère, vol : l'immoralisme est une fête qui fait tourner les têtes. Il est dès lors moins question de capture que de rapture pour reprendre le beau mot anglais pour dire précisément le ravissement. L'enlèvement n'est plus un mythe comme celui que cultivent les sectes fondamentalistes qui ont inspiré The Leftovers (2014-2017) de Tom Perrotta et Damon Lindelof, mais s'associe aux menus plaisirs du ravissement quand mondanité rime si bien avec immoralité.

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